Petite Maman, grand film
Petite Maman nous permet de relier avec Céline Sciamma qui nous avait tant bouleversé deux ans auparavant grâce à l’acclamé Portrait de la jeune fille en feu (2019), avec la gracieuse Adèle Haenel et la solaire Noémie Merlant, oeuvre qui lui valut pour son scénario une distinction au festival de Cannes. Tout comme sur le territoire français, ce film fut une véritable sensation aux Etats-Unis jusqu’à même être pressenti pour être nominé aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger et du meilleur film (malheureusement, le film n’aboutira pas dans les sélections finales). Avec Petite Maman, la réalisatrice nous offre un portrait familial centré sur l’enfance, aux vagues allures d’une œuvre tout droit sortie des studios Ghibli, portrait des plus personnels et touchants, tourné entre deux confinements dans les bois près desquels elle a grandi à Cergy. La référence à Ghibli n’est pas innocente et sans explication. Pour reprendre ses mots, comme elle a pu le déclarer lors d’une interview accordée à Télérama: “Sur le tournage, je me demandais, que ferait Miyazaki ?”
Il faut savoir qu’ici Céline ne s’aventure pas sur un territoire inconnu étant donné que l’enfance est un de ses thèmes de prédilection, thème qu’elle explora dans un de ses précédents long-métrages intitulé Tomboy (2011), ainsi que dans la perle de film d’animation qu’est Ma vie de Courgette (2016) de Claude Barras dont elle fut la scénariste. Elle en sera d’ailleurs récompensée du César de la meilleure adaptation scénaristique.
Le film s’ouvre délicatement sur un merveilleux travelling dans une EHPAD suivant la petite Nelly, âgée de huit ans, visitant chaque résident dans leur chambre pour faire ses adieux. Le plan se clôture lorsqu’elle pénètre dans la dernière chambre du couloir qui se trouve être totalement vide. Nelly vient de perdre sa grand-mère. Des suites de ce drame tragique, elle part avec ses parents dans la maison d’enfance de sa mère, Marion (Nina Meurisse), afin d’aller la vider des souvenirs dont elle regorge. Un beau matin, l’effroyable désespoir de Marion la pousse à partir, laissant seuls derrière elle son mari (Stéphane Varupenne) et sa fille dans la maison de la grand-mère disparue. La petite décidera donc de s’aventurer dans les bois environnants afin de retrouver la fameuse cabane que sa mère avait construite enfant, lieu grouillant très certainement d’innombrables souvenirs. C’est ainsi que Nelly rencontra une autre petite fille qui pourrait bien devenir sa meilleure amie. Tout comme sa mère, celle-ci s’appelle Marion. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence car c’est bien sa mère qu’elle rencontre, mais 23 ans plus jeune, d’où le titre du film: « Petite Maman ». Aurait-elle pris part inconsciemment à un voyage temporel en traversant les bois ou bien s’agit-il d’un rêve, une machination onirique résultant du désir de découvrir et de retrouver sa mère à travers ses souvenirs ?
Il sera question de perte, de séparation, de retrouvailles, de maternité, d’identité féminine, et par-dessus tout, de nostalgie.
Ce synopsis suggère une simplicité et discrétion conscientes/assumées qui sont également suggérées par le format du film, sa brièveté, son titre, ainsi que ses actrices hautes comme trois pommes. Il ne faut pas se leurrer par ces attributs car ce film est d’une amplitude et d’une richesse absolument admirable. Ce qui ne semblerait être aux premiers abords qu’un simple modèle réduit du typique mélodrame familial est en réalité bien plus que ça : c’est un GRAND film souligné par de douces notes de contes fantastiques. Par la simple envergure de son ambition, sans artifice ni prétention, le film émerveille, nous offrant une rare sensibilité et pureté véhiculée par des scènes magiques d’une justesse épatante.
Sans aucun doute, l’élément au cœur de cet émerveillement est bien évidemment la prestation de ces deux jeunes sœurs jumelles follement attendrissantes. Joséphine et Gabrielle Sanz s’échangent des regards et des sourires complices si sincères et affectifs que la magie ne pouvait qu’avoir lieu. La simplicité de quelques moments partagés entre elles tels que par exemple lors de l’élaboration d’une pâte à crêpes, la construction d’une cabane, ou bien encore la performance d’une pièce de théâtre improvisée, rend le film d’autant plus unique et personnel, ce qui ne peut que charmer le spectateur. Ces petits détails peuvent paraître relativement anodins, mais ce sont les petites choses, microscopiques attentions aux détails, qui font les grands films. La banalité de la préparation d’une simple pâte à crêpe pourrait rendre l’action cinématographiquement sans intérêt, ce qui fait qu’il est très rare de voir une scène de la sorte au cinéma. C’est bien regrettable car c’est magique la beauté du réel. C’est une porte à l’intimité d’un film et de ses personnages.
Pour être tout à fait franc, avant d’entrer dans la salle je m’attendais à voir un film gentillet, innocent, voire même falot. Jamais n’aurais-je imaginé qu’il me prendrait autant de court émotionnellement. Céline Sciamma réalise cette œuvre avec tellement d’amour et de sensibilité que cet afflux d’émotions, d’une sincérité sans égal, est palpable à travers l’écran.
Un film précieux touché par la grâce.
→ au cinéma depuis le 2 juin 2021
Antoine Massip