En réaction à une couverture du Times arborant l’E.T de Spielberg , John Carpenter aurait déclaré : « That’s what the country wants right now, they want sweetness and light, and The Thing is not going to be accepted » (« C’est ce que ce pays veut aujourd’hui, ils veulent de la douceur et de la lumière, et The Thing ne sera jamais accepté »).
Cette prédiction se révéla juste puisqu’à la sortie de The Thing en 1982, les entrées en salles furent catastrophiques, tandis que le Spielberg sortit la même année eut un grand succès. Après une vision amicale de la vie extraterrestre proposée par Spielberg, le public ne semblait pas prêt à accepter la vision apocalyptique de Carpenter sur le sujet.
Le film fut rejeté par la presse, en témoigne une couverture du Ciné-fantastique lors de la sortie du film : « This is the most hated film of all times ».
The Thing est une adaptation d’un roman de Campbell, Who goes there ? Le film narre l’histoire d’une équipe de chercheurs en Antarctique composée de 12 hommes, qui découvre un corps enfoui sous la neige depuis plus de 100 000 ans. Dès lors, les hommes de l’équipe semblent peu à peu, l’un après l’autre, être possédés par un mal invisible : le corps était en réalité une forme de vie extraterrestre métamorphe, qui imite à la perfection toute forme de vie. The Thing est un huit clos haletant, une enquête menée par chaque membre de l’équipage pour savoir qui est infecté.
C’est alors que se pose une question essentielle : Comment représenter cette menace, ontologiquement invisible ? Comment Carpenter met en scène la diffusion d’un mal invisible dans un film qui, au contraire, semble reposer sur la visibilité de l’effet ?
En effet, le cinéma de Carpenter est connu pour être un cinéma d’horreur travaillant sur le gore, usant d’effets spéciaux non pas numériques mais au contraire réels. Ce travail magistral est le fruit du responsable des effets-spéciaux sur le film, j’ai nommé : Rob Bottin. Bottin laisse complètement cours à son imagination lorsqu’il s’agit d’effets-spéciaux : il fait des tests, utilise du caoutchouc, de la peinture… ll déclara d’ailleurs au sujet de son travail sur ce film « you can’t just beat wild imagination ». Par exemple, lors d’une scène ou l’un des personnages se fait arracher les bras par La Chose, la scène est coupée afin de remplacer l’acteur du scientifique par un amputé des bras portant un masque.
Le lien entre les effets-spéciaux et l’histoire de ce film est absolument essentiel. Tout l’enjeu est de savoir ce qui se trouve sous la peau, sous la surface (qui est infecté ?). Rob Bottin utilise justement des effets spéciaux très organiques, lorsque la Chose apparait, elle éclate : sa peau se détache jusqu’à faire apparaitre une multitude d’autres formes en dessous. À cela s’ajoute le fait que la Chose prend la forme de n’importe qui : l’enjeu est de comprendre qu’on ne pourra jamais savoir ce que la chose est réellement, même si elle se disloque en une infinité de couches. En d’autre termes : l’ultra visibilité des effets spéciaux n’est qu’une façade, et ne représentera jamais réellement ce mal qui se propage, même si nous, spectateur, voulons absolument voir.
C’est la raison pour laquelle le film est en constante alternance entre le choix de la tension par l’invisibilité et par l’extra visibilité. Le mal est invisible, il se propage dans les membres de l’équipage sans que personne, pas même la personne infectée, ne s’en rende compte. Puis, à tout moment, c’est au contraire un effet spécial spectaculaire et éclatant qui bouscule les codes du film, et par la même occasion, qui déstabilise le spectateur.
The Thing est un film magistral, grâce auquel nous pouvons plus largement mieux comprendre les codes du gore au cinéma : le gore est une réincarnation de nos peurs, de nos paranoïas. Ici, le corps humains devient une toile sur laquelle l’imagination de Rob Bottin s’exprime, et sur laquelle la paranoïa (invisible) de chaque personnage s’exprime… Par de la visibilité à outrance.
Nous, spectateurs, voulons absolument voir. Nous voulons voir qui est responsable, nous voulons voir qui est La Chose, nous voulons voir en dessous des apparences et des couches. C’est là tout l’enjeu de l’utilisation du gore et des effets spéciaux dans ce film. Mais Carpenter joue avec cette envie insatiable du spectateur d’être omniscient dans un film : car malgré l’ultra-visibilité des effets spéciaux dans ce film, le spectateur sort de la séance avec le sentiment de n’avoir rien vu.
Camille Clot