À l’occasion de la 74ème édition du Festival International du film de Cannes, une petite équipe d’Extérieur Nuit s’est mobilisée pour assister à cet événement mondialement connu et suivi. Généralement, lorsque l’on parle de “Cannes”, on pense à quelque chose d’inaccessible, de magique, d’onirique. Grâce à l’obtention d’accréditations 3 jours à Cannes, nous avons pu vivre ce rêve du bout des doigts. Entre les heures d’attente, quelques montées des marches rapides pour accéder au Grand Théâtre Lumière, les heures de sommeil sommaires et les apparitions furtives de nombreuses stars sur le tapis, nous avons aussi consacré de multiples heures au visionnage des films présentés cette année. On vous propose de découvrir les critiques et avis de certains d’entre eux.

16 Juillet 2021

9h00: Bergman Island (Love)

Étant arrivés avec une certaine avance pour Bergman Island, nous avons pris le temps de petit déjeuner à un café en face du palais où se trouvait également la youtubeuse Natoo. Quelques minutes plus tard, nous fîmes une autre rencontre fortuite avec Alex Lutz (présent au festival pour présenter Vortex de Gaspar Noé) qui se faisait interviewer par Canal +.

Cette dernière œuvre de Mia Hansen Love, tournée sur les dépaysantes terres suédoises de la petite île de Fårö (où le mythique réalisateur suédois Ingmar Bergman vécut les vingt dernières années de sa vie), est certainement le film le plus abouti de sa carrière. Son expérience lui a permis d’accomplir un travail mature tant dans la mise en scène que dans l’élaboration de son récit doucement mélancolique. Bergman Island pourrait être qualifié de nombriliste, ce qui serait une grave erreur. C’est avant tout une mise en abîme profonde sur le statut de réalisatrice et la quête d’inspiration. La plus grande réussite de ce projet est sans aucun doute la rencontre de Love et Wasikowska qui dégagent le même ADN cinématographique. La structure scénaristique entrecroise deux trames narratives : le dialogue du couple de réalisateurs Vicky Krieps/Tim Roth échangeant leurs scénarios respectifs, fruits de l’inspiration que l’île leur a procuré ; et la merveilleuse histoire d’amour que le personnage de Krieps a écrit, qui interroge les relations amoureuses, dans laquelle évolue Wasikowska et Danielsen Lie. Un désir fort apparaît en fin de projection: celui de partir à la découverte de cette mystérieuse et dépaysante île de Fårö, où le fantôme de Bergman plane toujours.

15h30: The Sparks Brothers (Wright)

Cette après-midi-là, nous nous séparâmes pour aller assister chacun de notre côté à des projections diamétralement opposés: le film australien Nitram au GTL pour Laurene et le documentaire musical surprise The Sparks Brothers pour Antoine dont la projection fut organisée au dernier moment par Thierry Frémaux, les Sparks étant toujours sur Cannes depuis Annette et ayant une autre œuvre à présenter, le nouvel Edgar Wright.

Les Sparks nous firent donc l’honneur de venir nous présenter à l’Olympia ce documentaire fleuve de 2h20 qui retrace avec punch et majesté leur carrière en dents de scie s’étendant sur plus d’un demi-siècle. Avant la projection, Russell Mael, chanteur du groupe iconique, nous fit la lecture d’une lettre d’Edgar Wright dans laquelle il explique être désolé de son absence au Festival à l’occasion de sa première sélection à Cannes, ce qui était un rêve pour lui. Comme il l’écrit avec regret dans son message: “I am going to pretend while I’m stuck in gloomy old England that it’s just a sweet dream I had and not an actual screening I’m out on.” Dans The Sparks Brothers, le groupe y est dépeint avec brio et attention.

Le montage, comme à l’habitude de Wright, est très dynamique, entremêlant avec fluidité des images d’archive inédites, des interviews de célébrités de la musique et du cinéma, des animations dessinées à la main dans le style de Gondry. C’est un patchwork émouvant d’images et de musiques qui démarque ce documentaire de tout autre par sa singularité et la passion qu’il dégage. Le fan absolu des Sparks qu’est Wright ne pouvait que faire des merveilles avec ce sujet qui lui tient tant à cœur. Entre Annette et ce documentaire, le groupe fait carton plein en réussites.

Photo : Antoine et son groupe préféré, les Sparks.

16h00: Nitram (Kurzel)

En 1996, à Port-Arthur en Tasmanie, Martin Bryant massacre 35 personnes sur un site touristique. Justin Kurzel excelle dans la réalisation de ce film qui retrace le passé de ce personnage glaçant, surnommé Nitram. Les événements sont parfaitement remis dans leur contexte, sans faire de ce tueur un martyre, ou une quelconque victime de la vie. Les scènes sont simples, mais c’est cette austérité qui engendre la rare violence des images tant elles sont parfaitement exécutées. Nitram, c’est comme un plaisir coupable : on aime voir un film qui manie aussi bien un sujet aussi délicat et sensible, d’autant plus quand c’est une histoire vraie. Caleb Landry Jones mérite amplement ce prix d’interprétation masculine, d’ailleurs, plus qu’une interprétation c’est une véritable incarnation.

Le film a tout simplement été acclamé par le public, comme aucun autre film que nous avions vu jusqu’à présent. Autour de nous, certains ne disaient mot, scotchés par le talent qui émane de ce film, d’autres sifflaient et criaient pour applaudir l’équipe présente. Une vraie réussite pour Kurzel, qui a su toucher et convaincre le public Cannois cette après-midi-là.

19h00: Les Intranquilles (Lafosse)

Après avoir été refoulée par la fashion police du Festival, Laurene à bien pu accéder au GTL après le passage de l’équipe du film sur le tapis. Dans ce cas de figure, on est placé quasiment sur le dernier balcon, et le film a presque déjà commencé ; bref, ne portez surtout pas de baskets à Cannes. Même si elles sont blanches.

Encore une fois, le public de la 74ème édition a fait face à un drame familial. Sans même en connaître le synopsis, on s’attend à visionner un film qui va manquer d’originalité et qui sera sans doute fade. Leïla Bekhti et Damien Bonnard forment donc un couple en crise, déchiré entre un enfant meurtri par la situation (interprété par le petit-fils d’Isabelle Huppert). Malheureusement, les doutes de début de séance se font ressentir assez rapidement au cours du film : on retrouve les deux acteurs principaux dans des rôles assez habituels (cf. Une vie meilleure, Chanson douce pour Bekhti), même si Bonnard se démarque par sa capacité à jouer très justement un artiste bipolaire et maniaco-dépressif. La tension monte petit à petit, à tel point qu’on en finit par douter de la maladie du mari ou de la propagation de celle-ci à sa femme. Malgré tout, le scénario ne suffit pas à nous convaincre entièrement, surtout avec une chute aussi brutale, qui nous laisse indéniablement sur notre faim, même si le film tourne beaucoup en rond.

23h00 : Vortex (Noé)

Pour Vortex, la last minute queue était tout simplement bondée. On aurait cru que c’était le film le plus attendu du Festival, un vrai embouteillage à l’entrée du Théâtre Debussy. Et c’est sans compter l’heure et quart de retard causé par un imprévu lors de la projection qui précédait dans cette même salle. Après The Cradle of Civilization, Bill Murray, dont il est l’interprète, a endossé sa casquette de chanteur en reprenant le tube Aline de Christophe, puis a traversé la salle pour jeter des roses à son public. Du Murray dans toute sa splendeur et tendresse. Tout ça pour dire que la fatigue des jours précédents se faisait lourdement ressentir dans la queue.

Avec Vortex, Gaspar Noé change radicalement de cap et de style dans ce long-métrage sélectionné en hors compétition (Cannes Première pour être plus exact) à la dernière minute. En effet, il sera surprenant de découvrir, pour les habitués de son psychédélisme à base de stroboscopes lumineux et d’éclairages néons, cette production inopinée dans une veine hyper réaliste. Il est certain que cette césure stylistique est due à sa near death experience lorsqu’il fut victime début 2020 d’une hémorragie cérébrale qui aurait bien pu faire disparaître un des cinéastes les plus controversés de sa génération. Ce sentiment de deuxième chance révolutionna son mode de vie, stoppant complètement sa consommation de drogues hallucinogènes et de tabac. Ainsi, il se métamorphosa pour proposer cette fois ci non pas un trip sous acide psychologiquement éreintant, mais plutôt une mise en abîme infiniment personnelle qui remet en cause son rapport avec sa propre mortalité. Il est clair que Noé prend de gros risques en s’essayant à un style qui n’est pas exactement le sien. En faisant appel au légendaire réalisateur italien de gialos Dario Argento (que l’on connaît bien sûr pour Suspiria ou encore Tenebrae) et à Françoise Lebrun, mythique interprète dans La Maman et la Putain de Jean Eustache, Noé nous propose ce portrait émouvant en split screen, technique cinématographique déjà utilisée dans son précédent moyen-métrage Lux Aeterna. 2h20 d’appartement labyrinthique à la découverte d’une part et d’autre de l’image de la moindre action, mouvement, ou rituel effectué par deux octogénaires séniles à la verge de la mort. Les prestations sont hors du commun, la réalisation toujours aussi pointue, quoique pas si technique ni innovante. La décoration de l’appartement est pensée dans les moindres détails jusqu’à être ornée des souvenirs de la vie des deux protagonistes, ajoutant réalisme et esthétique au film. Malgré tout, Noé semble avoir voulu se conformer au moule cinématographique Cannois : il s’est métamorphosé, passant de l’exubérant au bouleversant. Une œuvre très certainement à redécouvrir sans la moindre attente particulière pour pouvoir mieux l’apprécier.

Antoine Massip et Laurene Derveaux

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