Festival de Cannes 2022 : Prix French Touch du Jury Oscars 2023 : Nomination meilleur acteur pour Paul Mescal

 

«La mémoire est spontanée, elle nous vient en aide spontanément. Seul le souvenir est réfléchi. Pour cette raison c’est un art de se souvenir » In Vino Veritas, Kierkegaard.

Dans Aftersun, l’art de se souvenir prend toute sa forme, dans le conflit entre le visionnage de mélancoliques vacances d’été – les dernières partagées avec son père – et ce qui s’est vraiment joué entre eux à ce moment précis de leur vie.

En exergue du film, une famille dysfonctionnelle : la mère dont on n’entend que la voix au téléphone, le père Callum (Paul Mescal) en plein désarroi, incapable de se détacher émotionnellement de son ex-femme, ainsi que Sophie la sémillante petite fille encore trop innocente pour saisir toutes les tensions familiales.

Charlotte Wells se concentre alors sur cette relation complice entre un père et sa fille, mais pleine d’incompréhension pour deux êtres qui rentrent dans une période trouble de leur existence. Si l’arrivée à l’âge de l’adolescence ne sort pas de l’ordinaire pour Sophie qui écule un peu les clichés du genre : la curiosité romantique, la boisson et l’émancipation ; pour Paul c’est l’impossibilité de vivre en regardant vers l’avenir. Il incarne celui qui ne veut plus regarder en arrière : il a quitté son pays pour fuir tous ses échecs, pourtant ce passé le rattrape constamment durant les visites de Sophie. Cette fuite en avant est illustrée par le goût exotique de Callum pour la méditation orientale ou la contemplation pendant de longues heures d’un tapis turc, allégorie de tous les projets de vie fantasques qu’il imagine mais qui semblent voués à ne pas dépasser le stade de la rêverie. Ironie cruelle car c’est propre fille qui lui rappelle qu’il n’a pas les moyens nécessaires pour les concrétiser.

La réalisatrice filme donc une relation complexe mais dans un style tout à fait épuré, dénué de tout artifice, permettant alors au spectateur de ressentir le poids de l’éloignement progressif et inéluctable entre les protagonistes, malgré leurs efforts apparents pour se comprendre. Cette distance s’apprécie particulièrement lors de deux scènes : l’une où est filmé en contre-plongée un Callum apathique, presque indifférent, regardant du haut de son perchoir le groupe de vacanciers lui chanter un bon anniversaire à la demande de sa fille ; l’autre lors d’un karaoké où il refuse tout simplement de monter sur scène avec Sophie.

Cette recherche du souvenir de son père par une fille désormais adulte interroge pourtant par son inutile complexité dans le montage anachronique. Il devient alors difficile de distinguer ce qui relève du réel ou de la fiction, dans une suite de scènes stroboscopiques peu convaincantes, qui ne manqueront pas de provoquer une crise d’épilepsie pour les plus sensibles d’entre nous.

Aftersun reste tout de même, à défaut d’une intrigue ficelée, un film à l’esthétique aboutie avec des acteurs très justes, en particulier Frankie Corio, qui ne font pas de la figuration ou de la surenchère. Cela permet au spectateur d’apprécier le réalisme d’un film soigné, jouant d’une alchimie touchante, malgré le présage d’un futur où ils ne se reverront plus.

A la fin ne reste plus qu’une ultime danse entre Sophie et Callum, avant que ce dernier ne disparaisse pour toujours derrière les portes d’embarquement de l’aéroport.

Categories: Critiques