Alors qu’on s’attend à un Teen Movie sentant bon l’été et les années 80, on se rend compte dès la scène d’ouverture que le film sera en réalité bien plus sombre. Alex, interprété par Félix Lefebvre, s’intéresse de près à la mort et les rites funéraires. Il rencontre David, joué par Benjamin Voisin, lorsque celui-ci vient le sauver après que son voilier ait chaviré. Commence alors une relation, entre idylle d’été et voyage initiatique, dont on sait d’avance qu’elle finira mal sans savoir comment exactement. François Ozon construit son récit à la façon d’un puzzle, contrairement à l’œuvre duquel il est adapté : le roman On My Grave d’Adam Chambers, où l’on sait dès le début comment finit cette relation.

Cette adaptation du roman d’Adam Chambers, François Ozon l’a attendu pendant 35 ans avant de finalement se sentir prêt à s’attaquer au roman qui aura marqué son été en 1984. Eté 84 qui aurait dû être le titre du film si Robert Smith, chanteur de The Cure, ne s’y était pas opposé. En effet, Ozon voulait absolument les droits de In between days, sortie seulement en 1985. Cette chanson correspond totalement au personnage principal du film et à sa découverte de la vie : joyeuse mais empreinte de mélancolie et de noirceur.

Dans la salle de conférence du Grand Hôtel de Bordeaux, François Ozon nous décrit avec amusement ces années ingrates que sont pour lui et sa génération les années 80 et qui, pourtant, fascine aujourd’hui les milleniums. Le film nous entraîne dans une plongée presque caricaturée avec la folie des coiffures 80s, l’incontournable veste en jean, les couleurs criardes, le walkman et sa scène clin d’œil à La Boum…tout cela dépeint à travers l’esthétique singulière d’Ozon qui nous est si chère. Les chambres des deux protagonistes recouvertes de posters comme un marquage du territoire adolescent nous renvoient au Moon Walk de Michael Jackson, aux clips iconiques de Madonna ou encore à Star de la Pub ; tube presque oublié qui résonne dans une scène de boîte à l’ambiance disco.

Dans un contexte de libération du mouvement LGBT Félix Lefebvre et Benjamin Voisin nous racontent les témoignages émouvants de jeunes spectateurs adolescents qui ont vu le film et cette romance gay comme un appel à la liberté. L’enjeu d’Été 85 n’est pas l’homosexualité en elle-même mais le fait de raconter une histoire d’amour universelle. Tout le monde peut se reconnaitre dans ces personnages qui restent si complices malgré leur décalage. Le film nous ramène en effet à notre premier amour et au romantisme adolescent que François Ozon décrit comme lié à la prise de risque. Il y a selon lui quelque chose de morbide dans cette attirance juvénile vers l’interdit ponctuée de slalomes à travers l’univers de la mort qui paraît si lointain face à ce sentiment de jeunesse et d’immortalité. La fascination d’Alex pour la mort et ce qui l’entoure prend alors tout son sens dans cette histoire d’amour dont la légèreté est bien vite rattrapée par des kilogrammes de sentiments.

Été 85 rassemble un casting 5 étoiles avec une Isabelle Nanty plus touchante et sincère que jamais dans le rôle de la mère d’Alex dont le caractère grave a réveillé le plaisir du réalisateur de décaler les acteurs comiques pour les placer autre part. On retrouve également deux acteurs fétiches du cinéma d’Ozon avec Valérie Bruni Tedeschi en mère toxique dont la performance ne nous étonnerait pas d’être dûment récompensée aux Césars 2021 et Melvil Poupaud en professeur de lettres peut être un peu trop intrusif comme un écho à Dans la Maison et Fabrice Luchini… Quant aux deux protagonistes incarnés par Félix Lefebvre et Benjamin Voisin dont la fraîcheur et l’authenticité nous font penser que tous deux ne peuvent s’attendre qu’à un futur très prometteur, ils sont accompagnés par la non moins talentueuse Philippine Velge qui donnera naissance au triangle amoureux à travers son interprétation du rôle de Kate, personnage aussi pétillant qu’énigmatique.

L’avis de Marouchka : En tant que grande admiratrice du travail de François Ozon j’attendais beaucoup de ce film que j’imaginais comme une romance adolescente légère et qui s’est finalement révélé beaucoup plus profond et ambigu que ce à quoi je ne m’attendais. Dès les premières minutes j’ai été transportée par l’histoire dont le suspense ne se fait pas attendre et dont la poésie et l’esthétique n’ont fait que renforcer mon admiration envers le réalisateur. François Ozon nous offre une plongée directe dans les eighties et l’ambiance estivale sur la côte normande qui nous rend nostalgiques sans même y avoir vécu. Tout sonne juste et est parfaitement construit. Les relations sont comme toujours chez Ozon dépeintes avec beaucoup de tendresse et de justesse et les dialogues sont forts, beaux, marquants ; l’ensemble teinté de lyrisme qui apparaît alors comme un poème qui s’offre au spectateur. Ce film, dont certaines scènes ont fait écho pour moi au reste de la filmographie d’Ozon avec une boîte aux lumières fluorescentes qui rappelle le badaboum et l’ambiance de Potiche, des chorégraphies comme une sorte d’expression de soi et de dévoilement presque en clin d’œil à 8 femmes, ou encore une relation ambigüe avec un professeur qui nous ramène à Dans la Maison, est une œuvre magistrale à part qui nous fait chavirer dans l’univers du réalisateur le temps d’un amour d’été et plus encore. Un film aussi actuel qu’intemporel à voir dès maintenant au cinéma.

L’avis de Lucile : Été 85 nous fait ressentir toute la nostalgie des années 80, on est transporté au côté d’Alex et David tout au long du film. La noirceur du film est une agréable surprise car elle nous fait comprendre qu’on ne va pas juste voir un film d’été mais une œuvre avec différents niveaux de lecture qui ne nous laisserons pas sur notre faim. Seul bémol à noter : la deuxième partie traine un peu plus en longueur bien que cela n’enlève rien à la beauté du film.

Marouchka Alexandroff & Lucile Marjollet