Longtemps considéré comme un genre mineur, la série TV a envahi nos écrans. Propulsé par des géants comme HBO ou Netflix, l’art télévisuel n’a plus grand chose à envier au 7ème art. En effet, la qualité indéniable de Breaking Bad ou Games of Thrones par exemple questionne plus que jamais l’existence d’une frontière entre Cinéma et Série TV.

Des séries de plus en plus sophistiquées

Si les cinéphiles critiquent l’absence de mise en scène des séries, rappelons d’abord que les plus grands cinéastes (Scorsese, Lynch, Fincher) s’y sont essayés. Le récent succès de Mindhunter, réalisée par David Fincher et produite par Netflix, atteste de l’évolution du genre : scénario retors, esthétique unique et travaillée, et héros complexes et névrosés. La frontière entre série et cinéma s’est considérablement réduite au fil des années et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, les tournages des séries, historiquement produits par les chaînes TV et donc courts et bon marché, se travaillent de plus en plus en amont. C’est donc avant tout la mutation de l’industrie et l’investissement des grands géants télévisuels qui ont permis une amélioration de la qualité de la mise en scène et de l’originalité des plans. Certaines séries ont même des budgets astronomiques qui leur permettent un casting de qualité et un tournage plan par plan : chaque épisode de Breaking Bad ou de The Walking Dead est estimé à 3 millions de dollars quand ceux de Lost (tournés avec des caméras Panavision 35 mm sur l’île hawaïenne d’Oahu) plafonnaient à 4 millions chacun.

Des codes spécifiques en évolution

Au-delà du simple budget, les codes des séries TV ont aussi évolué. Le format, d’abord pensé pour un spectateur distrait et un petit écran, a connu diverses innovations en termes de mise en scène. A l’origine, le personnage qui parle devait être celui qui apparaît à l’écran. Les scènes étaient aussi surexposées par rapport au cinéma, car les images sombres ne rendaient rien sur petits écrans.

Pourtant, l’amélioration technologique des écrans domestiques et la hype des séries permettent maintenant une mise en scène aussi travaillée qu’au cinéma. Les différences de codes entre Série et Cinéma reposent dorénavant bien plus sur le mode de narration : ellipses  temporelles dans Lost ou Breaking Bad ou structure modulaire (construction narrative qui consiste à imbriquer plusieurs niveaux de narration) dans Dexter.

L’art télévisuel est aussi construit par les besoins de l’industrie. Les nombreuses coupures publicité ont par exemple provoqué la multiplication des cliffhangers (climax où le suspens est à son comble). La difficulté de garder le spectateur pendant ces pauses a ainsi imposé un nouveau code et a finalement enrichi le genre.

Cette révolution narrative, basée sur la variation des rythmes et sur de nombreux plot twists, est rendue possible par le fait qu’une série est toujours écrite par plusieurs scénaristes. C’est une oeuvre collective dirigée par le showrunner (créateur de la série) qui détermine les thèmes, les intentions, l’esthétique et l’atmosphère de la série (« la bible »).

Interprétés par des acteurs de plus en plus charismatiques, les personnages de séries TV ont eux aussi évolué. Si le réalisme des protagonistes était la norme pour les feuilletons et soap opéra durant les débuts du genre, de nombreuses séries contemporaines utilisent le long-terme pour construire des personnages atypiques auxquels les spectateurs parviennent tout de même à s’attacher. C’est notamment le cas des antihéros comme Dexter Morgan, le tueur en série de criminels (Dexter), ou Walter White, le père de famille métamorphosé en trafiquant de drogue (Breaking Bad).

La série TV : une grille d’analyse et des atouts spécifiques

Le réel potentiel des séries repose sur la singularité des scénarios mis en scène, sur la longue temporalité et sur l’évolution de personnages profonds et complexes que le spectateur accompagne pendant plusieurs saisons. Ces codes si différents définissent finalement deux genres distincts, qui, malgré des influences communes, garderont chacun leurs atouts scénaristiques.

Ainsi, si l’heure est aux séries élaborées au coût exorbitant, il n’en reste pas moins qu’il est impossible d’analyser une série avec des critères cinématographiques et inversement. La complexité des narrations et la profondeur psychologique des personnages (que seul le format sériel permet d’instaurer de manière naturelle) font de la série TV un art à part entière. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que l’un des plus prestigieux festivals de cinéma annonce la création de son petit frère, destiné aux séries. La première édition du Festival international Cannes Series aura lieu du 4 au 11 avril 2018.

auteur : <wip>

Categories: Autour du cinéma