Synopsis :

Rendre la justice est un film documentaire qui nous plonge au coeur du méandre de l’appareil judiciaire français. Parfois considérée comme hasardeuse, souvent critiquée, la justice fascine et intrigue. Au cours d’entretiens avec 23 magistrats, les témoignages de ceux qui rendent la justice lèvent le voile sur un métier difficile, celui d’avoir la lourde responsabilité de juger ses semblables.

 

Entretien avec Robert Salis et Jean-Christophe Hullin

L’entretien avec l’auteur et réalisateur Robert Salis et son co-auteur Jean-Christophe Hullin a été particulièrement agréable. Ils ont pris beaucoup de temps pour nous expliquer la manière dont ils avaient travaillé et pour nous raconter des anecdotes de tournage.

Aussi bien en entretien que durant la réalisation, il émerge une belle connivence entre les deux hommes. Robert Salis révèle d’ailleurs que c’est sa rencontre il y a 5 ans avec le magistrat Jean Christophe Hullin qui le pousse à réaliser ce film. Ensemble, ils partent du constat que chacun d’entre nous est un justiciable potentiel et qu’à tort ou à raison, il est possible de se retrouver happé par la “machine judiciaire”. Or, à moins d’être initié, on se retrouve totalement démuni face à cette situation. Il est d’ailleurs consternant de réaliser que nous sommes davantage informés sur le système judiciaire anglo-saxon découvert dans les séries américaines que par nos propres lois.  Jean-Christophe Hullin se moque gentiment de cette tendance et nous confie que nombre de personnes l’appellent “votre honneur” lors des audiences. Phrase à laquelle il répond, non sans humour, “Objection !”, deux phrases inexistantes dans la justice française et toutes droites sorties de NCIS ou autres séries américaines de qualité médiocre.

 

Au cours du documentaire, nous rencontrons 23 magistrats alternant description sur la réalité de leur travail, témoignages sur la complexité des décisions à prendre et anecdotes. Robert Salis nous apprend que le tournage s’est étalé sur deux ans pour tirer un total de plus de 220 heures de rush. Ils ont pris le temps d’instaurer un climat de confiance avec chacun des magistrats de manière à leur faire oublier la caméra et parler ainsi à bâton rompu. Nous découvrons donc ces hommes et ces femmes, loin de l’image austère et froide que l’on peut se faire d’un magistrat en manteau d’hermine. Sans apparat, ils apparaissent comme nous, avec leurs forces et leurs faiblesses. Si l’on devait dresser un portrait robot d’un magistrat, cela serait une femme blanche (profession qui se féminise de plus en plus). Mais Jean Christophe Hullin nous le rappelle, on ne juge pas différemment suivant le sexe ou suivant la couleur de peau contrairement à ce que certains peuvent croire. Au fil des entretiens on observe les qualités d’un bon magistrat : l’humilité, la modestie, la remise en question permanente mais surtout l’humanité car il ne faut pas oublier que c’est l’humain et la société qui sont au coeur d’une décision judiciaire. “Même si on en prend compte, on ne juge pas la personnalité mais seulement les actes commis” est d’ailleurs dit par l’un des magistrats dans le documentaire.

Un passage fort du film est consacré à l’incarcération de détenus en attente de jugement dans le dépôt de l’ancien Palais de Justice de Paris. On découvre alors “la souricière”, un véritable dédale de couloirs et de cellules souterraines situées quelques mètres en dessous des promenades de touristes admirant la Sainte-Chapelle. Confortablement installé dans notre fauteuil, on admire alors avec effroi un lieux  hors du temps, sans lumière naturelle, étroit et au vacarme assourdissant.

Lors de l’entretien, Robert Salis nous confie une des expériences les plus marquantes vécues lors du tournage. Il raconte qu’en visitant le dépôt, il demande à un des surveillants de lui montrer l’intérieur d’une cellule. En ouvrant une porte pensant qu’il n’y avait personne, un jeune homme d’une vingtaine d’années se lève en sursaut, persuadé d’enfin sortir mais le gardien referme immédiatement la cellule. Le réalisateur nous retranscrit toute l’émotion de détresse ressenti dans les yeux du jeune homme.

 

Les entretiens face caméra des magistrats sont ponctués par de nombreuses scènes montrant les lieux et les symboles du Droit. Vestige d’une justice divine proclamée par le roi, les anciens Palais de Justice sont de véritables sites historiques. Les tableaux, statues et décors permettent une pause visuelle appréciée par le spectateur qui a la chance de découvrir des lieux qu’on n’aimerait jamais connaître. Une scène intéressante met en avant Les quatre captifs de Martin Desjardins (musée du Louvre) symbolisant les émotions des hommes face à la captivité.

Le film soulève également de nombreux dilemmes. En particulier celui d’une remise en cause paradoxale de l’autorité puisque la population demande sans cesse davantage de liberté et une plus grande protection en même temps. Dans le même sens,  des sondages montrent que 70% des citoyens n’ont pas confiance en la justice alors que cette dernière n’a jamais été autant sollicitée. Comprendre notre système judiciaire c’est bien mais le mieux, comme le dit Robert Salis, c’est de ne jamais avoir à y faire face. Et je conclurai comme le documentaire par une citation du film Orphée de Cocteau : “Vous êtes condamné à vivre”.

 

L’avis d’Extérieur Nuit :

Rendre la justice est un très bon film documentaire. Les témoignages alternant le sérieux, le touchant voire même parfois l’humour décalé sont de véritables claques qui permettent de mettre un humain, un visage derrière tant de responsabilités. J’ai particulièrement apprécié les interventions de François Molins, magistrat qui apparaît de manière récurrente. On ressent une profonde humanité dans son discours, instaurant comme un étrange lien d’amitié. Je recommande donc ce documentaire pour tous ceux qui veulent mieux comprendre notre système judiciaire. Ce film est d’ailleurs particulièrement pertinent pour nous, bordelais, puisque nous avons la chance d’accueillir l’Ecole Nationale de la Magistrature dans notre ville.

 

Ecrit par Bastien Echard