« Vous n’avez vraisemblablement jamais été une fille de 13 ans », voilà l’une des seules répliques lourdes de sens que nous entendrons de la benjamine de cette sororie, qui, après une tentative de suicide échouée, parviendra à se donner la mort. Virgin Suicides est un film retraçant l’histoire de 5 sœurs, issues d’une bourgade puritaine des Etats Unis, affrontant la puberté.

Cette réplique, rétorquée au médecin après sa tentative, nous dépeint déjà un appel à l’aide, qui n’est pas pris au sérieux par les adultes, et leur incompréhension face aux sentiments de l’adolescente. Sofia Coppola expose ici parfaitement l’invalidation émotionnelle que nous avons déjà tous ressentie auprès de notre entourage plus âgé, minimisant nos émotions et expériences, ce qui, dans le cas des sœurs Lisbon, les mène à une fin tragique.

En effet, dès le début de l’histoire nous en connaissons son dénouement : le suicide une par une de toutes les sœurs. L’histoire tout entière nous est même contée, non pas par la sororie, mais par le point de vue d’une bande de garçons amoureux des filles. Si le but de ce procédé utilisé par la réalisatrice est d’accentuer la fascination des dernières années de vie de ces dernières, on peut tout de même y déceler une dépossession de leur propre ressenti et de leur fin, au profit du point de vue masculin.

Cela a pour conséquence, de retranscrire subtilement une critique du puritanisme américain avec une société à double tranchant pour les hommes et les femmes lors de leur puberté. Tandis que les filles cachent leurs changements corporels et mentaux, en dissimulant leurs protections hygiéniques et en se faisant réprimander pour leurs tenues et leur maintien qui pourraient aguicher la gente masculine, les garçons, eux, sont libres d’exprimer ces changements. 

On le voit par ailleurs avec l’exemple du don juan de l’école, Trip Fontaine, qui à la suite de sa puberté, joue de ses charmes auprès des filles et exprime une sexualité non réprimée par son entourage et son environnement.

Il en vient à s’éprendre de Lux Lisbon qui, contrairement à ses sœurs, ne craint pas d’expérimenter l’alcool et les premiers émois amoureux. Leur relation s’achèvera dès lors de leurs premiers ébats ensemble où Trip l’abandonnera juste après, la laissant se réveiller seule à l’aurore. Des conséquences de cette action le jeune homme n’en aura aucune, et continuera simplement sa vie, en témoignant même des années plus tard, relatant qu’elle était son premier amour, mais qu’il ne saurait expliquer les raisons de son abandon. De son côté, l’adolescente et ses sœurs furent retirées du lycée et enfermées à la maison, ce qui accentua davantage les ragots des femmes du voisinage et l’ennui engendré par les sanctions sévères de la matriarche.

De cette isolation, censée être protectrice, s’engendrera la mort des protagonistes, désignées comme devenant des ombres dès le suicide de la benjamine, mais restant incomprises par la bande de lycéens. Ce sentiment d’étouffement qu’elles exprimeront, mais qui sera invalidé, causera leur perte et la trace de leur vie avec la réplique « Ce qu’elles avaient laissé, n’était pas la vie, mais une liste de choses ordinaires » qui nous est montré comme étant du mobilier et une maison vide au ton gris et maussade nous montre qu’elles étaient déjà parties depuis bien longtemps.

Tandis que certains s’interrogent sur les raisons de leurs morts, la chose la plus intéressante et intrigante me parait être la présence des garçons au moment de leurs suicide, ce qui semble être un choix bien étudié des filles afin de les désigner comme témoin de leur existence et de leurs actes qui resteront méconnus, mais aussi comme cause indirecte. 

Virgin Suicides n’est donc pas qu’un film esthétique s’associant à une bande son mémorable, elle traite aussi de cette complexité du sentiment adolescent et de la différence de traitement entre les hommes et les femmes dès la puberté, qui font de cette œuvre, sortie il y a plus de 20 ans, un film culte ayant une popularité bien méritée.

Categories: Critiques