Toute ressemblance n’est purement pas fortuite

Cela fait tout juste un an que nous n’avions pas vu un film d’Anne Fontaine, son dernier film en date étant Police (2020) avec Omar Sy et Virginie Efira. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle passe du coq à l’âne en termes de genre cinématographique. Un ravin sépare le sombre polar soporifique à cette satire survitaminée ne manquant pas de culot. Un saut pas si périlleux que cela au final étant donné qu’elle s’est déjà exercée dans le genre. En effet, après quelques œuvres à tendance dominante dramatique, telles que le poignant Les Innocentes (2016) et le sentimental Coco avant Chanel (2009), Anne Fontaine revient enfin à ses racines, renouant avec le comique de ses premiers films Les Histoires d’amour finissent mal… en général (1993) et Augustin (1994), ce dernier tourné avec son frère Jean-Chrétien Sibertin-Blanc qui tenait la tête d’affiche (il fait d’ailleurs une brève apparition en tant que moine dans Présidents). 

Comme Doria Tillier, l’une des superbes interprètes de Présidents, a pu si bien le formuler en s’adressant à la réalisatrice lors de l’avant première où j’ai eu le plaisir d’assister sur Bordeaux : « Il t’a suffi d’un jour pour te faire chier à un point que tu devais déjà te relancer sur un autre projet ». Ce commentaire de Doria ne pouvait pas être plus juste vu que Fontaine se lança sur la rédaction de ce nouveau film le second jour du premier confinement. L’idée lui trottait déjà dans la tête depuis un bon bout de temps, imaginant les différentes combinaisons de présidents possibles. Elle enchaîna ensuite le tournage début octobre. Une difficile époque qui aura inspiré bien des créatifs.

C’est le monde à l’envers dans la vie de notre cher Sarko (Dujardin) depuis sa défaite de 2012 : il mesure à présent 1,82 m, sa femme Carla Bruni fut substituée pour une cantatrice nommée Véronique, et il s’est découvert une grande passion pour l’électroménager en particulier les aspirateurs. Comme il le dit à maintes reprises, passer l’aspirateur « ça le défoule ». Désespéré par son inutilité, il se détermine à effectuer un choix qu’il n’aurait jamais osé imaginer : s’allier avec son successeur à la présidence, François Hollande (interprété par un tonitruant Grégory Gadebois qui avait déjà collaboré auparavant avec Fontaine sur Police), afin d’être réélu pour réacquérir un statut de pouvoir dont il est avide. Pour ce faire, il quittera la métropole pour s’aventurer dans ces terres de Corrèze qui lui sont totalement étrangères, afin de faire part de son grand projet à François qui s’est complètement retiré de la vie politique pour profiter des plaisirs simples de la vie entouré d’une nature apaisante et de sa femme vétérinaire (Pascale Arbillot). Par tous les moyens possibles, Nicolas cherchera à convaincre François d’abandonner cette retraite campagnarde pour retrouver une vie politique active, au centre de l’attention. Lorsqu’il commencera à éprouver de l’intérêt pour la magouille de Sarko, Nicolas découvrira que le bonheur et la satisfaction qu’il convoite ne sont peut-être pas là où il l’imaginait. Présidents c’est la course effrontée de deux hommes qui ne veulent pas se laisser disparaître dans l’histoire, mais plutôt en faire partie d’une manière glorieuse. Lorsqu’ils ne sont pas aux commandes, ils perdent le contrôle.

Lors de l’avant première, Anne Fontaine démentit à de multiples reprises, malgré les apparences, toute intention de transmettre une politique moralisatrice à travers son film, mais plutôt une politique non didactique, sans pour autant sombré, par le biais des travers satiriques de Présidents, dans la diabolisation de celle-ci (à l’exception de l’extrême-droite évidemment, exception qui confirme la règle). Dans Présidents, elle n’est qu’une toile de fond, le film traitant avant tout de la confrontation de deux hommes que tout oppose, mais qui finissent bien par trouver un terrain d’entente pour se rassembler. 

L’excellente alchimie entre ces deux interprètes bougrement attachants fait qu’ils sont tous deux catalyseurs dans une réaction chimique des plus explosives. La radicale opposition des traits de caractère des personnages m’a typiquement fait penser aux duos comiques cultes de l’âge d’or du cinéma français (années 70) tels que par exemple Depardieu et Richard dans La Chèvre, Rochefort et Marielle dans Calmos, ou encore De Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille. Tout comme les duos énoncés précédemment, ils sont constamment l’un sur l’autre à se chamailler pour je ne sais quelle raison politique, sentimentale, et autres… Immanquablement, Macron est un des sujets qui fâche le plus, étant leur némésis absolu. Entre quiproquos, comique de gestuelle et de situation (je pense tout de suite à la scène où Sarko est incapable de prononcer « écologie les verts », scène qui s’éternise tout en justesse), dialogues ciselés hilarants au possible, et timing parfait, on peut dire que le film ne laisse aucun temps mort. Le sourire des friands de satires ne s’effacera pas un seul instant tout au long du film. On sent qu’avec ce film Anne Fontaine s’amuse en s’essayant à une expérience des plus originales : un combat de coqs entre deux figures marquantes de la politique française. Comme la réalisatrice a pu nous le faire partager, le questionnement fondateur qui mena à la rédaction du film fut le suivant : “Que font-ils quand ils ne font rien ?” Et c’est à partir de ce topo de base qu’Anne s’amuse, avec des personnages bien réels, à élaborer une histoire des plus fantaisistes et décalées pour notre plus grand bonheur.

** Anecdote time ! Selon les dires de la réalisatrice, Hollande était absolument hilare en visionnant le film. Sarko, plus discret sur le sujet, ne l’aurait pas encore vu à ce jour. Toutefois, le président aurait été flatté d’apprendre qu’il serait interprété par le charismatique Jean Dujardin ** 

Comme elle nous l’expliqua, les deux interprètes n’imitent en aucun cas les ex-présidents, ils les recréent à partir de leur modèle. Ils s’approprient les codes clés du personnage dans le but de les restituer à travers un personnage fictionnel aux traits bien réels ce qui fait que leurs performances sont dénuées de la moindre faille. D’après Dujardin, ce fut avant tout un grand travail d’observation pour se réapproprier ce fameux mouvement d’épaule, ce charme, et cette voix reconnaissable entre entre mille. De plus, les personnages féminins, interprétés formidablement par l’angélique Doria Tillier et la lumineuse Pascale Arbillot, ont moins de temps à l’écran que leurs compères présidents, mais leur présence et importance ne sont pas pour le moins amoindries. À la fin du film, on peut aisément constater qu’elles sont les seules maîtres de la situation bien qu’elles soient tapies dans l’ombre de ces deux guignoles mégalomanes en roue libre. Mention spéciale pour la fameuse chanson tordante interprétée par Doria, qu’elle accompagne elle-même à la guitare. 

Ayant rencontré la réalisatrice en personne, je peux vous affirmer que le film est à l’image de celle-ci qui est un personnage tout à fait énigmatique et drôlissime de part son sens du décalage  et son excellente répartie. Les grands yeux étincelants d’Anne Fontaine, comparables à ceux d’une chouette, sont révélateurs d’une chose : cette curiosité constante sans limite la poussant à réaliser d’audacieux projets qui ne cesseront jamais de nous surprendre.

Une satire ubuesque absolument irrésistible

Antoine Massip

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