Saison 1 : « Look what I found »
Saison 2 : « You’re home »
Saison 3 : « I’m here »
Voici les derniers mots prononcés à la fin de chaque saison. La singularité de The Leftovers, c’est avant tout son étrange manière de prononcer les bonnes choses au bon moment pour une série aussi mystérieuse et sombre que celle-ci.
Le 14 octobre 2011, sans aucune explication et sans laisser de traces, 2% de l’humanité disparaissent de la surface de la Terre, soit quelques 240 millions d’individus qui s’évanouissent dans la nature. Des amis, de la famille et une multitude d’inconnus qui auraient pu croiser notre route dans un futur désormais impossible. Bien qu’elle soit l’adaptation du roman éponyme de Tom Perrotta, la série est un parfait contre-pied de la télévision dans la mesure où elle est développée par Damon Lindelof. Lost s’intéressait au parcours de ceux qui disparaissent, The Leftovers choisit de suivre ceux qui restent (traduction littérale du titre). La science-fiction est laissée pour compte, ainsi la fiction atteint son paroxysme. Où sont-ils tous partis ? Pourquoi eux et pas moi ? Ce n’est pas la le sujet de la série. The Leftovers est avant tout l’allégorie d’une réflexion sur le deuil, la mort, mais également la religion et les souvenirs. Et ces trois thèmes récurrents sont métaphoriquement représentés par les arcs narratifs de Kévin, Nora et Matt. Entre sexe dramatique et tentatives de suicide ratées, eux et tous les autres doivent continuer à vivre ou survivre, réapprendre à parler, pleurer, aimer dans ce nouveau monde cassé, mais comment faire sans la chaleur de ceux qui leur étaient chers, sans leur sourire, leur voix, leur couleur ?
Si la série cumule autant de points forts – Des personnages dont la complexité sont pour le spectateur le miroir de son propre gouffre, mêmes personnages divinement interprétés par Justin Theroux et Carrie Coon pour ne citer qu’eux, une photographie sublime mais qui est également pertinente d’un point de vue scénaristique et ne dessert pas que la simple illustration du propos, une bande originale de trois notes au piano composée par Max Richter et suffisante à faire trembler les ligaments du cœur – là où la série atteint l’excellence, c’est dans sa manière de jouer si brillamment avec les cartes qu’elle a en main. Ce nouveau monde est dénué de sens, il s’agit donc de mettre en scène le chaos et cela n’a jamais été aussi bien été effectué que dans The Leftovers. Et le pinacle de cet abîme est atteint en deuxième saison. I don’t understand what’s happenning. Ces mots prononcés par John Murphy alors qu’il tente de soigner la blessure par balle qu’il a lui-même infligé à Kévin, résume le frisson d’incertitude qui nous traverse tout au long de ces trente heures de visionnage. Qu’espère-t-on trouver à la fin du périple ? Cauchemar, illusion, crainte de la fin du monde et finalement rédemption. Mais une guérison est-elle possible, et comment apaiser cette douleur ineffable, comment polir les éclats blessants de cette fracture de l’être tout entier, toutes ces questions qui représentent justement le personnage de Nora dans sa quête d’éclaircissement jusqu’au grand final de la saison 3.
La force de The Leftovers, c’est sa consistance, la qualité d’un personnage, c’est sa constance. Si certains auront trouvé la saison 1 relativement monotone, bien qu’indispensable pour dresser l’esquisse de chaque personnage, il est maintenant temps d’abandonner le peu d’objectivité dont cette critique fait preuve pour embrasser pleinement l’idée personnelle que je me fais de cette série. Parmi tous les livres que j’ai lu, tous les films que j’ai regardé, toutes les musiques que j’ai écouté, The Leftovers est la plus belle chose qu’il m’ait été donné de voir. Un des thèmes récurrents de la bande originale composée par Max Richter est appelé November et ne peut m’empêcher de penser au morceau éponyme de Tyler, the Creator dans lequel le mois en question devient l’allégorie d’un souvenir heureux que l’on observe de l’autre côté du miroir – Bring me back to November. Novembre, c’est ce même souvenir qui s’est évaporé, la trace dorée qui nous a été arrachée, ces êtres que l’on aimait de tout notre chair et qui nous ont été amputé. « Est ce qu’on peut revenir en Novembre ? ». L’œuvre de Tom Perrotta n’offre pas de retour en arrière, c’est davantage la peinture du vide glacial qui nous habite en janvier et l’espoir qui pourrait bien ressurgir en avril.
Julien Pignato