Rendre hommage à Aki Kaurismaki tombe sous le sens tant il est un artiste complet qui sait si bien parler d’humanité. Il nous rappelle aussi que tout est en quelque sorte possible, que son talent lui a permis de réaliser presque un film par an alors que rien ne le destinait à cela. Cinéaste accompli, il écrit, produit, réalise et monte lui-même ses films ce qui en fait des œuvres personnelles à part entière car elles portent son empreinte à chaque étape.

Tous ses films ont le point commun de dépeindre des petites gens avec une visée presque zolienne, ceux qu’on n’entend presque pas et qui pourtant mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ari Kaurismaki les érigent presque en symbole, en allégories tant ses personnages sont porteurs d’un sens universel. Son cinéma nous recentre vers les choses les plus importantes et cela n’a pas de prix.

Le cinéaste nous fait voyager dans un conte hors du temps grâce à son ambiance année 1950 et son travail des couleurs froides : les thématiques sont actuelles mais le décor est ancien. Dans Le Havre, film qui raconte l’histoire d’un ancien écrivain qui décide d’héberger un immigré africain, la couleur bleu est omniprésente telle un reflet de l’accueil qui est réservé aux personnes immigrées. De même avec les jeux d’ombres dans L’autre côté de l’espoir où Khaled, l’immigré syrien qui cherche l’asile en Finlande est souvent dans la pénombre, ou avec de la suie sur le visage. Cela permet au réalisateur de mettre en avant le regard de l’homme, un regard impénétrable. Pourtant c’est dans cet univers froid et austère que l’humanité et la chaleur ressurgissent : dans le restaurant de Wikström ou dans le logement de Marcel Marx.

Le jeu et le choix des acteurs sont mis en place avec précision et minimalisme : peu de dialogues, des gros plans, des « gueules », le spectateur s’identifie alors moins aux personnages que dans d’autres films, ce qui permet de ne jamais tomber dans le dramatique. Tout le style d’Aki Kaurismaki se révèle être l’équilibre ténu entre le burlesque, le tendre et le cynisme. Certains dialogues pourraient même susciter le rire par leur décalage : « J’habite ici » « Certainement pas, c’est mon local à poubelle » (L’autre côté de l’espoir). Sans nous arracher des larmes, ses films nous remuent et nous mettent face à nos responsabilités : dans ses films, qui serions-nous ?

L’autre côté de l’espoir

La fatalité qui pèse sur les personnages n’est pas déterminante, au contraire les films du réalisateur sont une leçon de résistance. Au loin s’en vont les nuages (1996) termine sur une note optimiste grâce à l’ouverture d’un nouveau restaurant pour Ilona et Lari. L’espoir n’est jamais évident, mais il est immuable malgré l’administration glacée, les politiques d’exclusion, le peu d’argent et la haine des uns et des autres

Le Havre

La bonté de quelques-uns nous réchauffe le cœur. La scène du lancer de sushis dans L’autre côté de l’espoir montre que l’on peut rire de tout sans nuire à la gravité de certaines situations. L’espoir ne se trouve pas dans le lieu géographique, la France ou la Finlande mais dans les personnes comme Wikström ou Marcel Marx qui font un geste envers ces réfugiés. Le réalisateur souhaite toutefois agir plus profondément sur les consciences en essayant « de changer l’Europe » et montrer l’importance de la solidarité au quotidien, car quoi de plus beau que l’art pour nous faire réfléchir.

Alis Golding

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