Un film réalisé par Damien Chazelle est avant tout une promesse, celle d’un film à spectacle, d’une attraction. A la sortie de son dernier long métrage Babylon, le réalisateur ne manque pas de tenir parole, bien au contraire. Après La la Land, le fabuleux Whiplash ou encore First Man, le réalisateur franco-américain nous embarque dans une épopée décadente à l’époque où Hollywood s’érige au milieu des fêtes et des plateaux de tournage, à l’aube de l’introduction du parlant qui s’apprête à révolutionner toute une industrie. Alors que le film vient tout juste de dépasser le million d’entrées en France, Extérieur Nuit revient sur le meilleur « flop » de 2023.
Divine comédie du 7e Art
Il y a des films qui nous transportent plus que d’autres. Et transporter le spectateur, Damien Chazelle en a le secret. A travers cette fresque vertigineuse qu’est Babylon, le réalisateur nous prend par la main et nous fait valser pendant trois heures en plein cœur de l’âge d’or d’un Hollywood des années 20, dépravé, où tous les excès sont permis pour peu que vous en ayez les moyens et le statut.
En témoigne cette grandiose scène d’ouverture qui, d’entrée de jeu, plante le décor.
Nous sommes à Los Angeles en 1926, le cinéma muet est à son sommet et Hollywood est plus que jamais commandé par la fête et la débauche.
Parfait exemple de bruit, de fureur et de démesure où les drogues, le sexe et l’alcool se mélangent dans un trip dantesque au rythme des trompettes ; on se retrouve en quasi apnée dans ce lieu symbole d’impunité, au-dessus des lois, des règles, de la morale et surtout… où tout semble possible. Une fabrique à rêves (et à cauchemars), où il suffit de tendre le bras pour saisir les opportunités… ou être reconduit à la porte.
En une seule scène, Damien Chazelle parvient à résumer tout une légende autour de celles et ceux qui ont construit Hollywood. On est entrainé dans une frénésie presque épileptique où se mêlent humour, drame, cynisme, sexualité et surtout Amour. L’amour pour le cinéma et chacun des éléments qui le compose, qui le font exister. Babylon est un film effréné, assommant parfois, cinglé, dont on ressort exténué, mais comblé.
Trois personnages entre ascension et chute
Dans ce tableau d’insouciance et de dépravation où costumes et décors font l’objet d’un déballage pharaonique, vont se croiser les trajectoires de trois personnages : Jack Conrad, un acteur à la gloire décadente, un rôle semblé taillé pour Brad Pitt, Nellie Laroy une nouvelle star montante, brillamment interprétée par Margot Robbie et Manny Torres, un jeune homme qui rêve d’une vie derrière les caméras, dont l’interprète Diego Calva s’avère être une véritable révélation. Une galerie de personnages ambitieux, vulgaires, brillants, dépressifs confrontée à l’élévation et aux désillusions qu’implique le progrès de l’industrie.
En effet, Babylon cache un ton moins frivole derrière cette couche d’étincelles et de paillettes.
Les protagonistes et leurs destins respectifs sont touchants et donnent envie de creuser dans leur passé pour mieux comprendre leurs états d’âme.
Parfois submergés par quelque chose de plus grand qu’eux, les personnages sont balayés par des temps qui changent, des mœurs qui évoluent radicalement ; en passant du fameux “No dogs or actors allowed” à une industrie cinématographique qui grandit au profit du parlant.
Un échange brut et authentique entre Jack Conrad et Elinor St John résume notamment à lui seul le propos de Babylon, celui du destin périlleux de tout acteur qui consiste à vivre dans la lumière sans oublier qu’un jour elle finit par décliner…
Un film qu’il faut savoir digérer
Si Babylon est un véritable tour de force en ce qu’il nous livre sur un plateau d’argent tous les éléments du sensationnel, de l’émouvant et du formidable, on ne manque pas d’être frappé par le caractère plutôt indigeste de certaines scènes.
Rien que les premières secondes nous délivrent un avertissement : avertissement prenant la forme d’un éléphant qui défèque littéralement sur la caméra. Damien Chazelle fait le pari de sublimer le vulgaire et le “crade” dans un film où il décide d’étaler un festival de déjections corporelles en tous genres, dans un grand déversement incontrôlé de provocation gratuite.
Mais si les excréments, l’urine et le vomi jaillissent à foison, dans Babylon, ce n’est que pour mieux creuser la brèche par où pourra passer la lumière. De sa première scène scatologique à son final qui effleure le sublime, le cinéaste accomplit une véritable manœuvre d’alchimiste en parvenant à transformer la merde en or.
Là où certains décrivent un fouillis déraisonnable de la part du cinéaste franco-américain, ne faudrait-il pas plutôt y voir un tourbillon fantastique et infernal, à la fois critique et sincère lettre d’amour à Hollywood ? On assiste du début à la fin à un concert d’émotions qui repose sur une partition maitrisée, les spectateurs auront peut-être ri, pleuré, baillé, frissonné, saturé… ou tout à la fois ; à tel point qu’après trois heures de film, le retour à la réalité fait l’effet d’une gueule de bois.
Car Babylon est une ode à ce que le cinéma peut construire dans son intégralité et que s’il peut être comique, tragique, magique… il est avant tout beau.
L’auteur de la critique m’a tout l’air d’un scatophile en puissance…