À l’occasion de la 74ème édition du Festival International du film de Cannes, une petite équipe d’Extérieur Nuit s’est mobilisée pour assister à cet événement mondialement connu et suivi. Généralement, lorsque l’on parle de “Cannes”, on pense à quelque chose d’inaccessible, de magique, d’onirique. Grâce à l’obtention d’accréditations 3 jours à Cannes, nous avons pu vivre ce rêve du bout des doigts. Entre les heures d’attente, quelques montées des marches rapides pour accéder au Grand Théâtre Lumière, les heures de sommeil sommaires et les apparitions furtives de nombreuses stars sur le tapis, nous avons aussi consacré de multiples heures au visionnage des films présentés cette année. On vous propose de découvrir les critiques et avis de certains d’entre eux.

 

15 Juillet 2021

9h00: Tout s’est bien passé (Ozon)

Voilà un drame familial sincère parfaitement réalisé, et adapté du livre d’Emmanuelle Bernheim, ce qui n’est pas si étonnant de la part du grand François Ozon. Ce n’est pas la première fois que ce dernier s’empare d’un sujet d’actualité, ici, le film questionne le débat sur le suicide médicalement assisté. Malgré une mise en scène classique, voire académique, Ozon ose ajouter des touches d’humour grinçantes qui permettent de s’éloigner du pathos nauséeux dans lequel il aurait pu tomber. André Dussollier joue son meilleur rôle au cinéma, Sophie Marceau est touchante sans être too much. Un conseil : prévoyez des mouchoirs.

11h00: The Story of my wife (Enyedi)

Une romance lente portée par le couple Seydoux/Naber. Presque 3h de film pendant lequel de trop nombreuses longueurs se font ressentir, ce qui casse complètement le rythme du film. Le scénario de The Story of my wife reste aussi très classique, entre amour et infidélité : malheureusement c’est du déjà-vu, du réchauffé… Les amateurs de comédie romantique seront servis et trouveront du plaisir à regarder le dernier Enyedi, les autres auront du mal à rester éveillés, il manque de l’action, de la fraîcheur, du mouvement. Le choix photographique donne majoritairement des plans sombres, ce qui n’aide pas à éviter de s’endormir, particulièrement quand celles-ci ne sont quasiment pas accompagnées de dialogue. On retient seulement Léa Seydoux, charmante, mystérieuse, mais dont le personnage n’est pas assez développé.   

11h20: Petrov’s Flu (Serebrennikov)

Dans le bon sens du terme, Petrov’s Flu a été un film lessivant à regarder. Le génie de Kirill tient à cette exubérance de créativité provocatrice. Il repousse constamment les limites de l’imaginable en truffant son film d’idées de mise en scène déjantées, jusqu’à asphyxier le spectateur d’un trop-plein, une sorte d’ivresse cinématographique. Serebrennikov nous entraîne donc dans ce voyage complètement hallucinant, voire surréaliste divisé en trois actes narratifs à travers la Russie post-soviétique où la violence, la cruauté, le chaos, et la saleté sont prépondérants. Sans aucun doute, cette « fièvre de Petrov » ne peut être qu’une allégorie du gouvernement actuel qui empoisonne son peuple, faisant écho à son absence sur le tapis pour cause d’assignation à résidence. Tout au long du film, le questionnement est constant : est-ce un rêve, la réalité, ou bien un souvenir ? Nos habitudes de spectateurs assistés, constamment livrés à des sursimplifications scénaristiques, sont chamboulées et notre concentration mise à rude épreuve. Tant mieux ! Un des rares torrents cinématographiques de la sélection.

Photo (de gauche à droite) : Jeanne Balibar, Tilda Swinton, Apichatpong Weerasethakul, Elkin Diaz, Juan Pablo Urrego à la conférence de presse, le lendemain.

Un grand moment de cinéma comme on en voit si peu. Comme nous avons pu le ressentir pendant la séance, le film fut pour 90 % de la salle un somnifère efficace et pour le reste une véritable révélation sensorielle. C’est certain qu’ici le contemplatif est à son paroxysme. Comme Apichatpong l’a expliqué lors de la conférence de presse, avec ce film tout comme avec le reste de sa filmographie, son but n’est pas de transmettre un message ou de faire réfléchir le spectateur mais plutôt de révéler des sentiments enfouis au plus profond de notre être. C’est ainsi la raison pour laquelle ses films sont incompris par la plupart des spectateurs. Un film d’Apichatpong se réfléchit d’abord à travers les sens et non pas la matière grise. Certes, il peut être très éprouvant de s’immerger dans Memoria, mais une fois absorbé par l’image et les sonorités, cette expérience cinématographique magnétique et onirique est miraculeusement gratifiante. Mention spéciale à la fantomatique Tilda Swinton qui flotte magistralement dans ce trip métaphysique.

19h00: France (Dumont)

Il paraît difficile de passer derrière le déjanté mais succulent Ma Loute. Pourtant, cette journaliste tantôt déshumanisée, tantôt consciente de la cruauté de son travail interprété par Léa Seydoux reflète le visage même de la France. Blanche Gardin joue ce rôle crucial mais écœurant de nous livrer les horreurs du monde des médias, elle nous donne aussi de nombreux fous rires grâce à un comique de mots et de situation : elle représente parfaitement le cliché de la manager au franc parler barbare, en quête absolu de buzz. France est écrit, réalisé et mis en scène comme un direct de BFMTV. Les acteurs sont dirigés à l’oreillette, les scènes dramatiques empruntent au sensationnel, les costumes et décors sont ridiculement opulents. Malgré les déclarations pacifiques de Dumont concernant le monde du journalisme et des médias, il est impossible de ne pas y voir une critique, qui ne montre finalement que la partie fake et superficielle de l’iceberg, comme si le film était une parodie de critique. On espère donc que France est aussi un regard sur le fardeau de la perte de l’anonymat, grâce à la personnalité complexe du personnage éponyme, dont seuls les sentiments et émotions paraissent authentiques.

*Grâce à notre accréditation, nous avons pu assister le lendemain à la conférence de presse de France, ce qui nous a permis d’en savoir plus sur les motivations de Bruno Dumont à avoir réalisé ce film, sur les conditions de tournage particulières et le ressenti des acteurs.*

Photo de couverture (de gauche à droite) : Blanche Gardin, Bruno Dumont, Benjamin Biolay, Emanuele Arioli à la conférence de presse, le lendemain.

 

Antoine Massip et Laurene Derveaux

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