Drive de Nicolas Winding Refn. Un chef d’œuvre qui a su trouver son public.

Alors qu’une partie de la filmographie de Nicolas Winding Refn est disponible depuis peu sur Prime Video, c’est l’occasion de revenir sur le plus grand film du réalisateur danois : Drive. Récompensé à Cannes en 2011, l’œuvre semble aujourd’hui avoir acquis le statut de film culte. Entre grand spectacle et cinéma d’auteur, le film a offert une sorte d’aura à Ryan Gosling et propulsa Nicolas Winding Refn au rang de réalisateur d’exception. Pourtant, le projet a eu du mal à voir le jour puis à trouver son public à sa sortie.

Au départ, Drive est un livre de James Sallis publié en 2005. Il échoue une première fois à être adapté au cinéma en 2008 (on aurait pu avoir Hugh Jackman dans le rôle principal). C’est alors Ryan Gosling qui relance le projet, en proposant la réalisation à Nicolas Winding Refn lors d’un dîner. Mais finalement Refn n’est tellement pas emballé que le dîner se termine très rapidement.  Ryan Gosling décide alors de le raccompagner chez lui, en voiture, de nuit, dans Los Angeles (vous commencez à comprendre ?). Refn se met à pleurer dans la voiture lorsque la radio passe Can’t Fight This Feeling de REO Speedwagon. Il dit alors : « on va faire un film sur un type qui conduit la nuit en écoutant de la musique pop parce que ça libère les émotions. »

C’est sur cette base que le projet démarre avec le duo Refn-Gosling à la barre. Les deux hommes s’entendent et se complètent parfaitement. Le binôme fonctionne à merveille. Ils ont la même vision du projet. Refn parvient difficilement à trouver des financements en assurant la promotion à Cannes. Il obtient 15 millions de dollars. C’est peu pour un film aussi ambitieux, mais le tournage se passe bien.

Finalement, le film est projeté en exclusivité mondiale en 2011 lors du Festival de Cannes. Le jury tombe sous le charme : Robert De Niro, alors président du Jury, récompense Refn avec le prix de la mise en scène. Les critiques sont pleinement élogieuses et tous reconnaissent le talent de la mise en scène et des acteurs.

Cependant, les spectateurs ne seront pas aussi nombreux qu’espérés lors de la sortie en salle. Pourtant, entre la récompense, les critiques et les acteurs renommés, il y avait de quoi séduire un large public. En effet, l’une des raisons de l’échec relatif à sa sortie fut que le film fut certainement (très) mal vendu au départ. Les commerciaux se sont jetés sur le film en le vendant comme un film type Fast & Furious avec Ryan Gosling en tête d’affiche. Pour preuve, la bande-annonce est une succession de scènes d’actions absurdes et l’affiche française principale est insensée*. Ce marketing aberrant est aux antipodes de ce que propose réellement l’œuvre. Ce n’est pas un banal film d’action pour attardés mais un film d’auteur généreux au rythme atypique, globalement calme et contemplatif avec quelques scènes brutales et violentes.

La force du film repose aussi certainement sur une lumière fabuleuse, nous plongeant dans une atmosphère nocturne au cœur de Los Angeles, avec une ambiance bien 1980s.  Elle est amplifiée par la réalisation unique de Refn, venant à la fois sublimer les visages, les vêtements des personnages mais aussi les véhicules et la ville de Los Angeles toute entière. L’ensemble ne manque assurément pas d’audace et sonne toujours juste tout au long du film. Le tout offre un résultat esthétique et harmonieux.

À cela s’ajoutent des personnages forts, puissants et emblématiques, à chaque fois incarnés par d’excellents acteurs. Ryan Gosling bien sûr, dans ce personnage anonyme, noctambule et solitaire. Sa démarche le rend majestueux, avec sa veste de scorpion qui rougit peu à peu au fil de l’histoire. De même Carey Mulligan est parfaite dans le rôle de cette femme fragile, innocente et délicate (tellement parfaite qu’elle n’a pas besoin de passer l’audition). Le reste du casting vise toujours juste dans leurs interprétations : Bryan Cranston est exemplaire dans le rôle de Shannon, garagiste au passé trouble. Oscar Isaac et Christina Hendricks sont impeccables.  Par ailleurs, on aurait éventuellement pu croire Albert Brooks à contre-courant en interprétant Bernie Rose, un truand froid et cupide. Mais finalement il n’en est rien et le personnage provoque l’effroi à chaque dialogue, tout comme Ron Perlman dans le rôle de Nino.

De plus, les scènes d’action viennent pimenter le tout. Elles sont peu nombreuses mais débordantes de réalisme. Des scènes crues, presque choquantes. La scène de l’ascenseur reste forcément dans les mémoires : un baiser en guise d’adieu avant un enchaînement de coups dans cet endroit exigu, se terminant par un son de crâne qui se fracasse (Refn a d’ailleurs demandé les conseils de Gaspar Noé pour réaliser cette scène).

L’ensemble est porté par une musique magistrale signée par le talentueux Cliff Martinez (avec qui Refn réitéra l’expérience par deux fois). Mais cerise sur le gâteau pour Drive, le réalisateur est parti dénicher d’excellents titres, dont le tube français quelque peu passé inaperçu à sa sortie pour le générique du début : Nightcall de Kavinsky. Il permet de parfaitement saisir le rythme du film : une ambiance bien 1980s, avec un calme esthétique entrecoupé d’actions puissantes.

Pour conclure, Drive est assurément un grand film, même s’il est évident qu’il peut déplaire, surtout à ceux qui s’attendait à un pur film d’action. Finalement, il marque certainement l’histoire du cinéma par sa réalisation splendide, une musique mémorable et un personnage principal iconique.

Drive de Nicolas Winding Refn est disponible sur Amazon Prime Video depuis le 10 décembre 2020.

Vive le cinéma !

Gaétan Chenus

* http://instantcritique.over-blog.com/article-decrypt-affiche-comparatif-drive-113693890.html

PS : Je vous recommande aussi The Neon Demon et Bronson du même réalisateur (également disponible sur Amazon Prime Video).

Je vous conseille aussi Night Call de Dan Gilroy. Un film trop facilement assimilé à Drive car ils partagent une ambiance nocturne dans Los Angeles, des courses poursuites en voiture avec des scènes sanglantes. Mais en réalité les deux œuvres sont très différentes, et très réussies.

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