Le philosophe Ted Honderich défendait que tous nos choix, intuitions et actions ne sont que le résultat d’événements tout aussi nécessaires. En revenant à travers une chronologie aléatoire sur la rencontre, la connexion, l’abandon, l’oubli et la nouvelle rencontre entre Joël et Clémentine, Eternal Sunshine of the Spotless Mind vient questionner le poids de ce déterminisme dans nos relations humaines.

Cette collaboration entre Charlie Kaufman à l’écriture, et Michel Gondry à la réalisation met en scène l’évolution d’une relation non pas comme un fait objectif mais en tant que souvenirs effrités par le temps et teintés de la subjectivité de l’un des deux amants. Dès lors, ce film nous rappelle que deux personnes vivront une même situation à travers des prismes singuliers à l’origine de souvenirs totalement distincts.

Un matin, Joel – personnage interprété par Jim Carrey, introverti et sombrant dans une routine angoissante – monte dans un train sans raison alors qu’il aurait dû aller travailler et y rencontre Clémentine, personnage haut en couleurs, assez impulsive et ayant un penchant pour les teintures capillaires vives – incarnée par Kate Winslet. Ils l’ignorent, mais il ne s’agit pas de leur première rencontre car Joel et Clémentine ont déjà vécu ensemble. Cependant, les tempéraments trop distincts des deux protagonistes semblaient les vouer à une rupture, suite à laquelle la jeune femme décida de louer les services de l’agence Lacuna pour supprimer totalement Joel de sa mémoire. Désespéré, il suivi le même processus. Cependant, celui-ci ne se déroule pas parfaitement nous donnant ainsi accès à un subconscient masculin tourmenté courant après tout ce qu’il pensait vouloir oublier. Nous accompagnons Joel dans ses souvenirs, qu’ils traverse physiquement et modifie progressivement. En effet, l’inconscient permet de modifier notre perception du passé, à défaut de pouvoir modifier ce dernier.

Il ne s’agit pas d’une simple tragédie romantique. Ce film sonne juste de par son parti pris subjectif qu’il assume, Clémentine étant majoritairement représentée par le souvenir que Joel se fait d’elle ; mais également de par le réalisme de cette vie de couple passant par une multitude d’étapes imparfaites permettant une identification du spectateur. Par ailleurs, il est intéressant de constater que ces étapes ne sont pas présentées de façon chronologiques. Ainsi notre seul repère temporel réside dans la couleur des cheveux de Clémentine: verts lors de la première rencontre, oranges lorsque la relation était établie, rouges lorsque celle-ci s’effrite et bleus lorsque Joel et Clémentine se rencontre une deuxième fois. Ce réalisme est renforcé par la grande liberté d’improvisation laissée aux acteurs lors du tournage ou encore par certaines scènes tournées à même la foule. De plus, je tiens à mettre en avant la retenue du jeu de Jim Carrey et de Kate Winslet, qui parviennent malgré leurs tempéraments spécifiques à ne pas tomber dans les extrêmes.

Enfin, ce film ouvre la voie à de nombreuses réflexions. Quelles conséquences la manipulation de nos souvenirs aurait-elle sur nos actions futures ? Sommes-nous destinés à reprendre des décisions nous menant indéfiniment vers une même voie ? Schopenhauer avait-il raison en défendant que la souffrance liée à un souvenir d’un être perdu sera toujours plus intense que toutes les sensations agréables ressenties auparavant à ses côtés ? Cette souffrance, accompagnée d’un élan de détresse mènent à l’irraisonnable car oublier une part de son passé conduit bien évidement à s’oublier soi-même. Et Joel en prend conscience une fois le processus d’oubli entamé, en tentant de s’enfuir de celui-ci avec son souvenir de Clémentine. Ainsi doit-on considérer que les personnages pour qui le processus d’oubli est allé à terme sont condamnés à réitérer les mêmes erreurs ou bien au contraire, que ces derniers, libérés du passé sont désormais guidés par leur simple désir ?

Finalement, je me dois de conclure cette critique sur quelques verts d’Alexander Pope d’où est tiré le titre Eternal Sunshine of the Spotless Mind, également cités par Mary dans le film :

How happy is the blameless Vestal’s lot!
The world forgetting, by the world forgot;
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray’r accepted, and each wish resign’d.

Valentine Blassel

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