Okja, c’est le nouveau film de Bong Joon-ho, réalisateur sud-coréen (Snowpiercer, The Host) qui est sorti le 28 juin 2017, exclusivement sur Netflix. Il a été nominé 6 fois (notamment pour la mise en scène et le scénario) au festival de Cannes 2017, mais n’a rien remporté, et a même créé une grande polémique. En effet, le film n’a jamais été destiné à sortir en salles, et beaucoup contestent la légitimité des films Netflix à participer au festival. Durant sa projection à Cannes, le film fut hué par le public, premièrement à l’apparition du logo de la marque américaine, et ensuite car le format n’était pas adapté à la diffusion en salle, ce qui ironiquement confirme la thèse que ce genre de film ne devrait pas apparaitre à Cannes.

Ce film a d’autre part a été critiqué pour son aspect familial, jugé trop enfantin, puisque le réalisateur est connu pour ses scénarios sombres, dramatiques, parfois angoissants. Son nouveau film prend l’apparence d’une fable.

Premièrement, tous les personnages sont très manichéens, à la limite de la caricature : une PDG manipulatrice à la tête d’une corporation aux intérêts corrompus, une brave et innocente petite fermière, un scientifique fou, des gentils anarchistes du ALF (Front de Libération des Animaux), et des personnages secondaires ressemblant à des moutons sans cervelles, seulement mus par leur appétit pécuniaire.

D’autre part, l’humour semble être dirigé à un public d’enfants, tout comme le scénario. En effet, les expositions sont constantes, et ne laissent aucun mystère sur le déroulement de l’action (qui d’ailleurs suit le schéma narratif des contes). Ensuite, la création de l’animal Okja a lui aussi été pensé pour faire rêver les enfants (il est inspiré des studios Ghibli, notamment de Totoro) et le rendre attachant (comme un partenaire d’aventure). Enfin, tous les décors, notamment ceux prenant place dans la montagne sont traités pour être à couper le souffle, et accentuent le sentiment d’immersion dans un conte de fées.

Il faut se détacher de ce scénario aux aspects si féeriques pour discerner certaines nuances qui font apparaitre le vrai message. Ce n’est pas de pointer du doigt les responsables, ni dénoncer avec monstruosité de l’exploitation et de la cruauté envers les animaux, pas de dégouter de la viande, pas de nous horrifier ou de nous faire culpabiliser. Je pense que c’est plus subtil que cela, parce que lors du visionnage, nous semblons être immergés un monde irréel (du fait de l’existence d’une race d’animaux inconnue) : l’histoire ne semble pas se rapporter à notre univers. C’est un film engagé qui ne bouscule pas, qui d’une certaine manière ne traite pas du débat sur l’exploitation de bétail, mais qui par certains détails donne une nouvelle approche sur ce thème.

Pour moi, ce film est une fable dystopique, avec sa morale et son dénouement heureux, mais qui n’en reste pas moins inattendu. En effet, on pourrait s’attendre à voir tout les problèmes résolus et surtout constater que la faillibilité le système est la raison de sa chute. Dans ce genre, il est fréquent de voir les héros renverser le système en s’appuyant sur ses faiblesses – une sorte de justice ironique. Pourtant, Okja délivre un autre message : tous nos efforts sont futiles et vains. Le film nous rend complice et témoins de l’horreur du système mais surtout montre à quel point on ne peut rien changer seul : c’est sur ce point qu’il ôte son masque de film familial à faibles enjeux. Même en ayant tout le courage et la bonne volonté du monde, les « héros » de l’histoire, ne peuvent pas faire de réelle différence.

Que le spectateur soit sensible ou non à la protection des animaux, qu’il soit végétalien, végétarien ou non, il se retrouve confronté à un fait : notre système actuel est un triangle d’incompatibilité. Il y a trois objectifs à atteindre, mais seulement deux d’entre eux sont atteignables de manière simultanée. Ainsi le parti pris du film est qu’on ne peut parvenir à protéger les animaux si l’on tente de nourrir la population croissante (donc produire en masse) et laisser une empreinte réduite sur la planète (en fabriquant génétiquement des espèces animales moins « polluantes »). Là encore, il s’agit de choisir ses batailles.

Lorène Pierrat

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