« La voix, c’était toi. Moi, j’étais juste le petit frère qui poussait les boutons, mais cela m’allait très bien. On faisait de la radio, on était des hors la loi et j’étais très fier. »
Une petite ville de Bretagne, un visage qui s’affiche lentement sur le vieux téléviseur d’un bar PMU. Le visage d’une nouvelle ère qui débute le 10 mai 1981 dans la clameur et le tumulte de la foule enjouée, suite à l’élection de François Mitterrand.
Philippe vit dans l’ombre de son frère Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre leur radio pirate, le garage de leur père et le départ en service militaire de Philippe à Berlin, les deux frères ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.
Oh, un film sur les années 80, celles que l’on n’a pas vécues mais celles que l’on affectionne. Celles qui nous bercent dans une nostalgie presque imaginaire, pleines d’enthousiasme et d’énergie. Vincent Maël Cardona nous embarque en voyage dans le passé, avec un long-métrage aussi effervescent que diaphane. Vivement remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes avec l’obtention du Prix SACD, le film nous plonge dans l’univers frénétique des « radios libres » et d’une nouvelle jeunesse qui s’émancipe désormais par la voix.
En effet, Les Magnétiques c’est avant tout un film sensoriel qui emplit de bonheur nos yeux comme nos oreilles. Tourné en numérique avec des objectifs de l’époque, le film sait constamment ce qu’il vise et se donne les moyens d’y parvenir. Cardona nous offre un long-métrage au grain, à l’éclat et aux couleurs rafraichissants avec des plans nocturnes captivants ; une reconstitution tout à fait honnête de l’atmosphère dense de l’époque mêlée de scènes d’épiphanies complètement étourdissantes qui font baigner le spectateur dans l’euphorie. On ajoute à cela une mise en scène poétique avec des plans sublimes et des instants suspendus où les silences sont autant une partition délicieuse que des scènes plus vivantes et musicales.
Sans parler de cette renversante BO qui nous fait vibrer, tout comme Philippe, sur les ondes magnétiques des « K7 » de stations-radio. Minutieusement orchestrée, le réalisateur y mêle new-wave et punk, sans oublier d’exhumer les groupes de rock les plus cultes. Des cris de désespoir d’Ian Curtis (Joy Division) à la vitalité de The Undertones en passant par la ferveur d’Iggy Pop, tout est rassemblé pour que le spectateur trouve son bonheur dans ce juke-box exclusivement dédié aux 80s. À cela fait contraste un personnage principal (mais aussi narrateur) timide et discret, brillamment interprété par Thimothée Robart, acteur débutant prénommé pour concourir au César 2022 de la Révélation masculine, qui ne manque pas de transpercer l’écran, par sa candeur juvénile qui nous accompagne tout au long de son récit. Le film peut se targuer d’avoir réuni un casting attachant au jeu simple, et donc particulièrement réussi et touchant.
Les Magnétiques, c’est aussi un film qui bouscule les conventions du simple récit initiatique. Philippe nous emmène à travers les rues de Berlin dans sa quête à l’émulation créative, en plongeant dans le bouillonnement musical et la folie des boîtes de nuits. Mais il ne manque pas de rendre compte d’une époque où l’Europe est encore écartelée entre l’empire capitaliste et le bloc communiste. Cette intrigue, subtilement menée par l’écriture collective de Vincent Maël Cardona avec Romain Compingt, Catherine Paillé, Chloé Larouchi, Rose Philippon et Maël Le Garrec, chacun mêlant leurs idées de révolution, de politique, d’une époque rock et new-wave, fait ressortir une histoire extraordinaire de liberté fantasmée, comme captivée dans un décor banal où les rêves n’ont pas lieu d’être.
En effet, pour reprendre les mots du réalisateur, « de partout on voit débarquer des groupes de rock, des fanzines, des radios-sonos. Toute une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans les promesses de Mai 68 et s’empare de la vague punk pour dire son désenchantement et paradoxalement son envie de faire la fête. ». Cardona nous offre un coming of age qui tombe habilement dans la chronique sociale, avec un shot de désir et de modernité ; éminente réussite pour un tout premier long-métrage !
Ode à la fougue et aux errances de l’époque, le film est conçu pour les jeunes des années 80 et tous ceux plus largement qui voudront se reconnaître dans les traits de ces personnages qui portent en eux toutes les espérances d’une nouvelle ère.
Un cocktail Molotov cinématographique que l’on peut assurément qualifier de « belle surprise au cinéma ».
Hana Berrah