Mars 2021, alors que la pandémie a mis à genoux le monde du cinéma lors d’une Berlinale à huis clos, Memory Box ouvre le bal de la compétition et semble apporter une certaine légèreté à cette édition pesante. Bien reçu par les professionnels, le film obtient 8 nominations, notamment une pour l’Ours d’Or ; ce qui pourrait souligner un potentiel prometteur à ce long-métrage. Cependant le contraste sur grand écran est criant. Sorti en salle en janvier 2022 seulement, le film fait à peine sensation. Pourtant, ce dernier ne manque pas de présenter tous les éléments pour attirer les spectateurs. Un panel complet rassemblant nostalgie, flashbacks, musique des années 80, liberté et jeunesse…

Le couple de réalisateurs et plasticiens libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige était particulièrement attendu sur ce long métrage après leur dernière œuvre de fiction sélectionnée à Cannes, Je veux voir avec Catherine Deneuve (2008) où surgit leur marque de fabrique dans chacun de leurs travaux : celle de révéler les non-dits de l’Histoire, à travers la construction d’imaginaires et la fabrication d’images. Toutefois, le succès est cette fois-ci loin d’être au rendez-vous.

Memory Box est une immersion, façon scrapbooking, dans la mémoire d’une famille de la diaspora libanaise installée à Montréal. Le jour de Noël, Maia et sa fille, Alex, reçoivent un colis en provenance de Beyrouth. Ce sont des cahiers, des cassettes et des photographies, une correspondance entière que Maia, adolescente, a entretenu avec sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. La mère refuse d’affronter ce passé mais la fille s’y plonge en cachette.

Deux films se côtoient et s’annulent simultanément : l’un de force esthétique qui témoigne du talent de plasticien des deux auteurs ; l’autre au scénario creux et extrêmement anodin qui rate totalement sa réflexion sur l’Histoire et sa mémoire. Pour ainsi dire, Memory Box peut constituer une expérience cinématographique intéressante, mais manque cruellement d’intensité pour être véritablement marquante, mélange de scènes de cinéma et de madeleines de Proust des années 80.

Certes, on constate une forme de photographie recherchée voire surprenante, utilisant différents ratios d’image, de la surimpression, du collage, du stop-motion et d’autres trouvailles très riches qui donneraient presque l’impression de voir un journal intime prendre vie. Une des belles et inventives idées visuelles du film serait notamment les vieilles images voilées et les défauts des photos argentiques avec ces taches qui s’étalent progressivement sur les images au bruit des bombes qui explosent. Malgré tout, on n’entre pas dans cet album de souvenirs épars sans pathos où le passé se juxtapose au présent et ne trace aucun lien entre les deux époques, ou ne le creuse pas assez.

En somme, en matière d’expérience de visionnage, le film est impeccable. Le problème est finalement tout ce qu’il y a autour. Memory Box a tout pour susciter l’émotion chez le spectateur et pourtant, elle est quasiment absente du film. En effet, le scénario est construit sur l’alternance constante entre scènes dans le présent, avec Alex qui découvre les souvenirs de sa mère, et celles dans le passé où le spectateur est immergé dans le Beyrouth de la guerre civile ; la multitude d’incohérences que les scènes présentent ne fait que ternir l’intensité émotionnelle normalement créée par les souvenirs. On n’adhère certes un peu au début mais, plus le film avance, plus on décroche. Ce qui est assurément dommage, c’est une œuvre sur la mémoire, comme son titre l’indique, et sur la transmission d’un passé douloureux entre trois générations, un sujet avec un immense potentiel. Le problème est le côté trop personnel du film qui laisse finalement le spectateur sur la touche.

Autre point faible du film serait sans doute ses interprètes. Ce n’est pas faute de dialogues vraisemblablement bien écrits et porteurs d’une histoire lourde de sens, le duo principal mère/fille nous sert cependant un jeu superficiel digne d’un téléfilm M6. On a comme l’impression que les deux actrices ne croient pas en l’histoire qu’elles sont en train de jouer et même séparément, les personnages de Maïa adulte et d’Alex ne parviennent pas à nous faire ressentir quelque chose ; avec une Paloma Vauthier qui surjoue son rôle et décrédibilise son personnage, celui-ci étant pourtant le plus riche de tous avec cette jeune adolescente en quête de racine. Manal Issa nous livre toutefois une belle performance lorsqu’il s’agit d’interpréter le rôle de Maia adolescente ; l’actrice avait notamment été remarquée comme tête d’affiche du long-métrage Mon Tissu Préféré (2019), sélectionné pour le prix Un Certain Regard à Cannes.

On voit donc défiler un album de souvenirs passés qui mêle petite et grande Histoire mais sans qu’aucune ne soit véritablement éclairée par l’autre. Le spectateur a la désagréable impression de passer à côté du film et de rester exclus de cet album de famille se voulant pourtant fort en émotions. Memory Box est le type même d’œuvres qui en touchera certains, peut-être davantage concernés par l’histoire du Liban ou du déracinement, mais qui laissera les autres de marbre par manque de clés de compréhension dû à un fond bien trop survolé.

Les intentions sont bonnes, on le sent. Memory Box est sans doute une œuvre originale d’une grande sincérité, mais les meilleures intentions ne font pas toujours les meilleurs films et c’est ce qui se passe ici.

Au final le film reste un très joli album photo, sorte de vernissage sur grand écran qui nous délivre ses souvenirs, parfois fugaces, couchés sur le papier ou rendus éternels par un polaroïd ; mais qui finit par tomber rapidement dans la chronique mélodramatique pour jeunes ados et manque son intention de retranscrire une idée humaine et familiale.

Hana Berrah

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