1977 fut une année marquante dans l’histoire du genre horrifique au cinéma. En effet, un certain Dario Argento réalisa un film qui choqua le monde entier par ses images majestueusement violentes : Suspiria. Le réalisateur italien s’était déjà fait remarquer dans son pays d’origine pour ses qualités de scénariste : il a notamment écrit en 1969 Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. Toutefois, c’est grâce à ses films d’horreur au style si particulier, le giallo, qu’il se créa une vraie renommée. Le giallo est un subtil mélange italien entre un film noir et un slasher qui se caractérise aussi par une identité visuelle très marquante. Des plans de caméra parfois très alambiqués et des jeux de lumière poussés à l’extrême. Mais la caractéristique principale du giallo est son utilisation à la fois poétique et méticuleuse des couleurs vives pour aider la compréhension du scénario. Justement, Argento dans Suspiria est au paroxysme de cet art si singulier.

 

Suspiria nous raconte l’histoire de Suzy Bannion (Jessica Harper), une jeune new-yorkaise qui intègre la prestigieuse école de danse Tanz Dance Akademie en Allemagne. Seulement, elle va vite réaliser que cette académie cache des macabres secrets.

L’horreur que dégage Suspira provient en grande partie de la maîtrise du giallo par le réalisateur. En effet, ce style exacerbe les mécaniques de l’horreur et nous plonge dans un univers glauque et funeste qui glace le sang. Les scènes d’horreur sont toujours agrémentées d’astucieux jeux de lumières qui plongent une grande partie de la scène dans l’obscurité et illuminent les éléments sur lesquels le réalisateur veut nous captiver pour ensuite mieux nous surprendre. Le film tient le spectateur en haleine grâce à une descente aux enfers de la protagoniste qui subit des événements de plus en plus traumatisants. Ces derniers sont souvent accentués par la sur-utilisation de couleurs vives, notamment le rouge, pour nous signaler un danger imminent et créer une ambiance de malaise. De plus, ces couleurs permettent aussi de symboliser avec élégance la présence de démons dans les scènes. Argento, via ces couleurs, en montre moins pour en dire plus, il utilise des litotes.

Les décors au style baroque parsemés de motifs géométriques et de marbre nous dépeint un établissement froid et strict où les écarts ne sont pas permis, telle la pédagogie des professeurs qui prônent l’exigence et la rigueur. Enfin, il faut aussi souligner la performance du groupe Goblin qui a composé la sinistre musique du film : leur mélange de violon désaccordé et de murmure d’outre-tombe créent un cocktail oppressant qui participe grandement à l’atmosphère sombre du film.

La Tanz Dance Akademie est une métaphore de l’enfer, une parenthèse diabolique dans une allemagne des années 1970 en pleine guerre froide. Doit-on y voir un message caché d’un réalisateur occidental ? Nous vous laissons juger. Tout le bâtiment est dépeint comme l’antre du diable, une porte vers l’enfer : la façade est d’un rouge vif sanglant comme les profondeurs d’un brasier. La scène de la pluie de larves est une référence profondément biblique. En effet, dans le livre de l’Exode, Dieu inflige dix châtiments à l’Égypte en exigeant au Pharaon de libérer les hébreux alors en captivité ; les dix plaies d’Égypte. La quatrième d’entre elles se caractérise par des milliers de mouches qui envahissent les maisons des Égyptiens. Dans Suspiria, ce ne sont pas des mouches mais des larves qui grouillent dans tous les recoins de l’école, symbole d’un mal antéchrist qui se tapit dans les couloirs de l’Académie.

 

Dario Argento a parfaitement utilisé les codes du giallo pour intensifier l’épouvante dans son film. Les nombreuses métaphores rajoutent de la profondeur à son œuvre tout en perfectionnant le scénario. Suspiria reste néanmoins un film visuel à contempler comme une peinture qui nous rappelle que les esprits les plus démoniaques sont parfois bien plus proches que nous le pensons.

 

Gauthier Chemin

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