« Cette histoire est simple et pourtant elle n’est pas facile à raconter, comme un conte elle est douloureuse et comme un conte elle est pleine de merveilles et de bonheur », voici les premiers mots de l’auteur pour présenter cette tragédie. Le film est défini alors comme un conte, c’est-à-dire un récit d’aventures imaginaires destiné à distraire, à instruire en amusant. Ainsi le film présente les péripéties de Guido (Roberto Benigni) qui par sa nature solaire et spirituelle, use de son imaginaire pour rendre le réel plus supportable à vivre. Un exercice d’esprit qu’il met à disposition de tout ceux qui l’entoure ou le rencontre, car dépourvu de biens matériels, la seule chose qu’il revend sans avarice, c’est de l’esprit. Un personnage philosophico-clownesque qui nous divertit, dans le sens étymologique du terme, détourner quelqu’un de quelque chose, tout en nous élevant… tout en nous faisant réfléchir.

Le film place le spectateur comme témoin d’une pièce de théâtre qui se déroule sous leurs yeux. Comme au théâtre, le décor change. En premier lieu, l’Italie avant 1938 le régime fasciste de Benito Mussolini, le second décor, une Italie sous l’occupation allemande pendant la guerre, et enfin le camp de concentration plante le décor final d’une pièce de vie. Comme souvent dans une pièce de théâtre il y a très peu de protagonistes qui portent la pièce, mais si au cinéma les autres sont présentés comme figurants, ici, ils ne font pas de figuration… Ils sont spectateurs, témoins de cette pièce jouée et portée par les acteurs principaux.

L’histoire se compose donc en trois moments de vie de Guido.

Acte I : La rencontre

Le film commence par l’arrivée de Guido et de son ami Ferruccio en ville. Une arrivée plus ou moins remarquée car Guido s’élance dans le présent comme la voiture de Ferruccio qui avance, sans freins et à toute allure. Une arrivée qui marquera la rencontre avec Dora, jeune institutrice, qui tombera dans les bras de Guido, qui lui tombera éternellement amoureux. C’est alors que Guido, se présentera à sa princesse comme un prince, il lui fera la cour avec humour et spiritualité, justifiant sa présence, sur son territoire imaginaire comme la « principale principauté du prince ». Un début d’histoire où, comme à chaque début de relations, les deux protagonistes se découvrent.

Poursuivant son chemin vers la ville, le point de chute de ses deux complices est chez l’oncle de Guido. Un personnage dont l’humour et la philosophie rappelle celle de Guido, ce qui marque une filiation spirituelle évidente. C’est plein de sagesse que son oncle fait face au quotidien, à la montée de l’antisémitisme. Une rhétorique, une hauteur d’esprit qui lorsqu’il se fait agresser qualifie ses agresseurs comme des barbares, justifiant son inaction de façon stoïque en répondant que «  le silence est le cri le plus puissant ». Une leçon de vie salvatrice que Guido retiendra.

Par un heureux hasard, Guido revoit Dora, mais presque fiancée à un homme déjà bien installé, elle semble se résigner aux avances de Guido. Mais ce personnage impétueux tord le réel, pour forcer le destin et charmer sa princesse. Le futur désiré est mis au passé pour qu’il puisse se réaliser au présent. Les artifices, les illusions, présentés comme le hasard envoutera Dora et l’enlèvera le jour de ses noces sur un cheval comme un Prince.

Acte II : le quotidien

Guido et Dora ont enfin construit environnement stable et familial. Ils élèvent leur enfant Giosué, qui est très intelligent. Un garçon équilibré entre les farces, la fantaisie de son père et la rigueur, l’éducation plus scolaire de sa mère institutrice. La famille se retrouve pendant la guerre sous l’occupation allemande, où l’antisémitisme est omniprésent, un quotidien que son père transforme, voir déforme, avec un déni de réalité. Car la réalité est bien plus morne, les interdictions se multiplient pour les juifs, mais Guido ne se considère et ne se revendique pas comme juif. Pourquoi revendiquer quelque chose, qui est de l’ordre de l’intime, qu’il n’a pas choisi, aux autres ? Pour une fois, celui qui déjouait et détournait le réel, se présentait aux autres comme un illusionniste, ne peut plus cacher cette marque indélébile, frappée du sceau de l’intolérance.

Alors il ment à son fils sur la gravité des lois antisémites, et s’enferme lui-même dans ses mensonges qui vont l’amener, lui et son fils dans les camps de la mort. Dora, non juive, séparée de son mari et de son fils, décide de les suivre.

Acte III : La grande illusion

Guido prenant petit à petit conscience de ce qui l’attend de les camps de la mort, décide, par une grande illusion, de présenter les camps de la mort comme un grand jeu à Giosué. Ainsi, son fils admiratif des chars d’assaut en miniature, va croire en une récompense de taille promise par son père, un véritable char d’assaut. Par instinct de conservation et de survie, Guido pourtant en état d’épuisement, va trouver la force de divertir son fils et de le cacher des soldats. Ainsi le film offre un souffle Nietzschéen au comportement du père. Ce n’est pas une volonté de vie comme l’a théorisé Schopenhauer, contredit par Nietzsche qui argumente, il n’y a pas de volonté de vie mais une volonté de LA vie, donc une volonté de puissance. La volonté de puissance est un dépassement de soi même, à l’intensification de la vie. En effet l’ennemi permet de nous surpasser. Pour Schopenhauer, il faudrait renoncer au vouloir pour éviter la douleur, or pour Nietzsche, plus la douleur est grande plus elle permet le dépassement de soi, presque par instinct animal. C’est donc la pensée de Guido, qui endure davantage les travaux forcés, et endosse le rôle d’illusionniste pour son fils. Il refuse le réel pour emmener le monde dans le sien et les préserver, amenant parfois même son fil moins fantaisiste et plus perspicace à s’interroger sur les réelles intentions de son père.

Les beaux mensonges du père se confrontent à la triste réalité des camps. Alors qu’on l’emmena dans les douches, il reconnu un médecin allemand, qu’il avait connu autrefois en Italie et avec qui une complicité était née. En effet le médecin raffolait des devinettes et des énigmes, et Guido était le plus spirituel des jeunes garçons qu’il avait connu. Par exemple, plus elle est grande moins on la voit ? C’est l’obscurité. Mais l’énigme sur laquelle il s’était quitté, fut, si tôt que l’on me nomme, je n’existe plus ? C’est par l’enseignement de son oncle, agressé par les barbares en début de film qu’il eu la réponse… Le silence. Une réponse salvatrice. Une prise de conscience de l’instant, du présent qui rappelle ce que Primo Lévi a écrit… C’est le rattachement au réel qui a maintenu en vie les survivants des camps de la mort.

Le film est truffé d’énigmes, de rappels, de clins d’œil, c’est la raison pour laquelle il est culte, qu’on aime le voir et le revoir. Une fable temporisée, conduit par une seule et même musique devenue elle aussi culte.

Un chant libertaire, que l’oncle de Guido explique en une phrase, «  le service n’est pas le servage, Dieu est le premier serviteur, au service des Hommes mais il n’est pas esclave de l’humanité ». Mais le meilleur résumé de l’esprit du film, reste, les mots d’esprits de Schopenhauer :

« L’homme doit s’élever au-dessus de la vie, il doit comprendre que les incidents et les événements, les joies et les douleurs n’atteignent pas son moi meilleur et intérieur, que le tout n’est qu’un jeu ». Alors oui, jouons un peu, pour la simple et bonne raison que… la vie est belle.

Alban-Luc Audebrand

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